Espaces baltes 1. La Lituanie : Vilnius et Kaunas

D’avion, la Lituanie s’ouvre comme un livre d’histoire : on y lit encore clairement que ce fut un pays de défrichement. Une immense forêt se déroule, découpée par des grands rectangles de culture, réguliers. On dirait un cartulaire où l’on pourrait dessiner sans trop d’anachronisme les bûcherons en veste à capuche ou les serfs avec leurs faux.
Les jours suivants, lorsqu’on a roulé dans le pays, en car, on a retrouvé cette alternance, de champs de céréales avec un village au centre, puis la forêt revient, puis, à nouveau, cultures et village, à, nouveau, forêt. Les kolkhozes du XXe siècle devaient y être à l’aise. Quelque bâtiments administratifs à côté de silos et de hangars en gardent le souvenir. Dans les villages, groupés autour d’une église, des maisons de bois subsistent, mais les petites maisons récentes rappellent par leur modernité banale que les destructions ont été fréquentes. Batailles. Lituanie, grand- duché toujours menacé ou annexé par ses voisins, Pologne, Russie, Allemagne, qui eux-mêmes se battaient entre eux.

J’ai pris beaucoup de photos, mais il en est de mes photos comme de ces pays, elles ont eu des malheurs, mon appareil s’est coincé un si grand nombre de fois qu’il a endommagé 75% des clichés. Les autres sont souvent flous. Certains rescapés donnent quand même une idée.

En regardant la carte, on voit avec surprise que l’on est frontalier de la Biélorussie. Minsk n’est pas si loin de Vilnius (187 km). Ce qui donne un air exotique à ce voyage européen, dans ce pays qui est passé à l’euro depuis le Ier janvier 2015, des euros tout neufs que les collectionneurs du groupe empochaient avec plaisir, dès le premier soir au dîner, en payant des verres de bière délicieuse pour la somme attendrissdante de 1, 74. Dans les deux autres pays, plus rôdés, on multiplie par deux et on arrondit à l’euro supérieur.

Contrepoint d’une histoire agitée et tragique, le paysage est très régulier, reposant, horizons calmes et plats, couleurs des bois, bouleaux, pins et sapins variés aux troncs de couleurs différente selon l’essence, rares feuillus ; de temps en temps, une coupe a été faite, on a laissé debout dans l’espace quelques arbres élancés et minces, qui deviendront des arbres respectables sous peu, au dessus des buissons qui seront devenus arbustes. La Lituanie, c’est d’abord de la forêt et de l’habitat groupé, une leçon d’histoire rurale.

J’ai pris des dizaines de photos d’horizons, et, comme on roulait, elles sont pour la plupart ratées, les premiers plans étaient trop près, et se dissipaient en trainées confuses. Mais c’était ravissant à suivre, avec les ciels changeants et immenses au-dessus de ce calme, agricole ou forestier, notre quotidien pendant trois jours, coupé de soleil, d’orages, de ciels bas ou romantiques.

Vilnius

Nous étions arrivés à Vilnius, un petit aéroport dont la façade ressemble à celle d’une gare ferroviaire de province, presque directement dans la ville.

Une ville massée sur une petite colline, hérissée de clochers. « C’est une ville baroque », nous a dit Gregory. Ça ne sautait pas aux yeux pendant qu’ on longeait quelques grands immeubles très blancs, avec des échappées sur de petites rues très provinciales.

Vilnius, Saint-Jean, le choeur, Université
HP

Mais le lendemain matin, à pied, on a découvert en effet à chaque tournant un ou deux élégants clochers, quelques coupoles, des façades claires, des colonnes blanches, jaune pâle, parfois en brique nature, avec des intérieurs souvent magnifiques, immensément chargés comme S. Jean - l’église de l’Université - .

Vilnius, Sainte-Hélène, la grande nef
HP

Ou immensément sobre, comme Ste Hélène, la cathédrale qui est bâtie à côté du palais grand-ducal. Au XVIIIe siècle, tous les cultes, tous les ordres, ont voulu du baroque, les catholiques, franciscains, dominicains, les orthodoxes, les luthériens, les uniates, etc.

Résultat, un exceptionnel patrimoine, très bien léché, en travaux pour certains. Des façades et des intérieurs de toutes les nuances du baroque, austère, classique, jésuite, rococo.

Les persécutions contre les Juifs, l’antisémitisme permanent, mettent en relief le rôle de quelques « justes », dont la bibliothécaire de l’Université pendant la Deuxième guerre mondial, toute l’histoire se mêlait, on s’arrêtait aussi dans de petites cours presque paysannes avec leurs balcons de bois, et les « palais » des riches marchands.

Comme dans les deux autres pays baltes, la Lituanie a laissé la vieille ville aux touristes et à l’histoire, du Moyen-Age au XIXe siècle, à l’entretien minutieux d’un charme ancien, aux pavés épuisants, aux trottoirs minuscules, mais peu importe, c’est en gros laissé aux piétons, des ruelles tortueuses bordées de grosses maisons basses qui ont été les demeures des riches marrchands des siècleds hanséatiques, maisons à un ou deux étages, peintes en blanc, vert pâle, les boutiques d’ambre - la grande richesse de pays baltes - , les petits cafés, composaient un paysage varié et assez charmant.

L’Université et ses multiples cours, ses salles ornées de fresques ou de mosaïques, achevaient de donner vie aux personnages célèbres de l’histoire de la ville et du pays, ponctuée par des prénoms en « as », et par des assassinats, Mindaugas le premier grand-duc de Lituanie, (+ en 1263), Gediminas et sa dynastie, jusqu’aux Jagellon qui deviennent rois de Pologne, et à Bona Sforza (1494-1557), femme de Sigismond Ier (roi de Pologne), elle-même étant grande-duchesse consort de Lituanie, où elle avait introduit la Renaissance italienne, la culture, la douceur, dans cette ville nordique.

La douceur ? Elle empoisonna sa belle-fille Radziwill, femme de Sigismond II, et fut elle-même empoisonnée à son tour. De la longue union instaurée par les Jagellon, la Pologne catholique, jusqu’au partage de celle-ci par la Prusse et la Russie au XVIIIe, a gardé une influence considérable en Lituanie, d’où tant d’églises.
Triste fait-divers de la jalousie ajouté à cette histoire politique agitée et brutale : Marie Trintignant tuée par Bertrand Cantat, dans un grand hôtel genre chou à la crème de la Riviera, en plein centre de la ville.

Vivre à Vilnius ? On n’en aura pas vraiment une idée, touristes trop pressés, je ne comprends pas bien l’accrochage de la vieille ville historique et de la ville actuelle, avec ses immeubles contemporains, mais on voit l’acharnement, la foi, le désir intense, de récupérer ses charmes particuliers, son identité et son histoire.
Ce sera le cas dans les trois pays. Ils savent ce que l’indépendance coûte, ils la soulignent, ils la vénèrent. Chacun des trois parle sa langue et utilise le russe comme véhicule commun.

J’ai retrouvé ce culte dans les deux autres villes lituaniennes visitées : Kaunas et Klaipeda (l’ancienne Memel). Partout, de vieux centres historiques retapés à partir de ruines, parfois un peu « botox », mais toujours originaux et pimpants, fiers. Partout, des récits de reconstruction, de courage, de volonté.

Château de Trakai, Lituanie
Krzysztof Mizera 2010

Malheur des photos et des appareils, je n’ai pas gardé de trace personnelle de la visite de Trakai, un magnifique château-fort (XIIIe XIVe s), aux environs de Vilnius, entièrement retapé à partir d’un tas de ruines, éclatant, passionnant comme architecture, avec ses chemins de ronde, son donjon d’une extraordinaire hauteur, ses salles voûtées qui servent de musée, la force des couleurs, rouge des toits, rouge des briques : il se dresse sur une île, témoin des premiers siècles des premiers grands-ducs vainqueurs des Chevaliers teutoniques. Le long de l’allée plantée de gros arbres qui y mène, depuis le pont, on vendait des petits paniers de fraises des bois. J’ai eu la bêtise de ne pas en prendre, je me suis dit, je verrai au retour, et, naturellement, il n’y en avait plus !

Kaunas et le Niemen

Le 14 juillet, on a quitté Vilnius pour Klaipeda, mon but officiel, en passant par Kaunas. On avait plusieurs heures de route à faire. On a roulé dans les paysages forêt/champs de céréales, sous des ciels alternés, parfois menaçants.

Kaunas, le château
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Le château de Kaunas était aussi rouge et pimpant que Trakaï, la veille, en plus modeste.
Le soleil était revenu mais ça sentait quand même l’orage.

Kaunas, maison, XIVe s ? siège de la Ligue Hanséatique
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Kaunas avait au moins deux atouts pour moi : le Niemen et le souvenir de la Ligue hanséatique, avec ses jolies maisons de briques, ouvragées, pignons ornés, solidité, devenues pour certaines le siège des banques modernes, rues pavées, églises en réfection. Là aussi, une « vieille ville » semée de beautés architecturales, au milieu de bizarreries décoratives contemporaines.
Port fluvial actif, disent les notices.

Kaunas et le Niemen, du haut du Neuvième fort
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Le Niemen, à Kaunas, est encore un fleuve moyen, encombré d’herbes et de cannes dans les eaux assez basses du mois de juillet, et le passage de Napoléon y est inscrit, en fresque, dans les sous sols voûtés d’un hôtel où nous avons déjeuné. L’Empereur marchait sur Vilnius (alors Wilna) c’était le 23 juin 1812. Le corps des pontonniers construisit trois ponts de bateaux, pendant que l’Empereur rêvait à l’entrevue qu’il avait eue avec le Tsar Alexandre 5 ans auparavant, avant de signer le traité de Tilsit.

On est d’abord allé voir le fleuve d’en haut, sur une colline que Gregory nous a présentée comme pleine de souvenirs de résistance, de la Deuxième guerre mondiale et de la guerre de libération contre l’occupation soviétique. Cette colline, d’où nous regardions couler le Niemen est le lieu même où Napoléon a couché sous la tente avant le passage de ses troupes.

Peinture ornant la salle à manger d’un hôtel à Kaunas
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« A trois cents pas du fleuve, sur la hauteur la plus élevée, on apercevait la tente de l’Empereur. Autour d’elle, toutes les collines, leurs pentes, les vallées, étaient couvertes d’hommes et de chevaux. Dès que la terre eut présenté au soleil toutes ces masses mobiles, revêtues d’armes étincelantes, le signal fut donné, et aussitôt cette multitude commença à s’écouler en trois colonnes, vers les trois ponts. On les voyait serpenter en descendant la courte plaine qui les séparait du Niémen, s’en approcher, gagner les trois passages- s’allonger, se rétrécir pour les traverser, et atteindre enfin ce sol étranger, qu’ils allaient dévaster, et qu’ils devaient bientôt couvrir de leurs vastes débris. » (Général comte de Ségur)

Cette colline, le Neuvième fort, a été le siège de l’épouvantable entassement des juifs lituaniens, en particulier ceux du ghetto de Kaunas, regroupés avant d’être massacrés dans les forêts voisines. Historique. Horriblement historique.
Et nous, là-dessus, à peine débarqués du car, un peu raides de nos heures de route, nous nous tenions, comme toujours surpris de faire partie de l’accordéon temporel que constitue un lieu où tant de choses mortelles se sont passées.

L’orage a fini par éclater, sur la route de Klaipeda.

Orage
HP

Post-scriptum

À suivre