Les actualités cinématographiques allemandes, 1918-1933. Inventaire et Analyse. Présentation de soutenance

I. Le choix d’un terrain

Dans l’hiver 1971-1972, Marc Ferro m’a proposé de travailler dans l’Équipe de recherche « Cinéma et Histoire » qu’il anime à l’EHESS à la constitution d’un fichier de documents d’actaulités cinémaatographiques. J’ai accepté aussitôt.
L’idée d’inventaire m’a plu d’emblée, d’abord par son côté pratique et utile, d’autre part parce qu’un inventaire me semblait présenter un champ de recherche assez précis et délimité pour un doctorat de 3e cycle, mais suffisamment ouvert pour permettre un travail ultérieur.
De plus, le fait de travailler sur des actualités cinématographiques était, en 1972, et est encore en 1978, assez nouveau pour être séduisant. Nous avons l’habitude des squelettes bien nets et bien blanchis des manuels d’histoire : les actualités mettent soudain, sous nos yeux, des personnes vivantes ; elles aident à retrouver et sentir la chaleur, la vivacité et le flou de la vie ; elles permettent même, c’en est aussi un des dangers, de réacquérir la myopie contemporaine, elles se présentent en machines à remonter le temps, nous livrant les visages, les déjeuners sur l’herbe ou les parcs à voitures d’une époque. Par ailleurs, elles sont le témoin de la volonté consciente de ceux qui les produisent et les fabriquent, et sont liées, ainsi, étroitement, à la machinerie politique, économique et sociale d’un pays. Enfin, elles fonctionnent un peu comme l’inconscient d’une époque, en filmant, avec le personnage central choisi, tout l’environnement de ce sujet sélectionné, environnement qui contredit parfois les affirmations de l’image vedette - ou de son intitulé - ou qui révèlent des rélités oubliées ou négligées : ainsi le travail féminn, que les actualités de l’Allemagne de Weimar ignorent délibérément au profit de leurs loisirs, apparait-il subrepticement à travers les marchanddes de saucisses, les standardistes ou les plumeuses d’oie que la caméra a filmées « par dessus le marché », par hasard, avec les premiers plans de défilés militaires, des Salons de l’industrie ou des préparatifs de Noël.

C’est donc à ce triple point de vue - vivante machine à remonter le temps, produit conscient de l’idéologie ambiante, témoin inconscient d’une réalité écartée - que les actgualités, comme document, intéressent les historiens.

Une fois retenu le principe de l’inventaire d’ actualités retenu, pourquoi l’Allemagne, pourquoi Weimar ?

Des raisons purement matérielles, puisque financières, ont d’bord orienté le choix de l’Équipe impliquée dans la recherche des actualités, vers des pays étrangers. Les prox de visionnement en France sont en effet tellement prohibitifs qu’il était impossible de songer à y engouffrer les crédits de fonctionnement que les firmes privées, Pathé et Gaumont, qui possèdent les archives d’actualités, auraient dévorés en quelques heures pour quelques centaines de mètre de pellicule.

Par contre, la Grande Bretagne et l’Allemagne fédérale offrent dans leurs organismes d’état d’archives filmées, des conditions de travail et des tarifs de visionnement qui permettent de voir et de revoir sans problème les documents voulus. Les quelques membres de l’E. R. s’étaient ainsi partagés les archives étrangères, ce qui explique l’aspect monographique de mon travail : il devrait prendre place dans un en semble et permettre ainsi des comparaisons que je n’ai pas été en mesure d’établir seule dans le cadre de cette étude.

La Guerre, Otto Dix
Photo HP (Dresde 2010)

J’avais choisi l’Allemagne et primitivement la pédiode 1919-1939, que j’ai très vite abandonnée pour 1918-1933 ; en effet, si 1918-1939 se justifie dans beaucoup de pays d’Europe par l’encadrement des deux Guerres mondiales, en Allemagne les dates sont différentes, avec la charnière de 1933 - accession d’Hitler à la chancellerie-, la frontière, étant plutôt 1945, marquée par l’effonderement de la défaite et la disparition corrélative du régime nazi. La République de Weimar, elle, se présente comme une sorte d’entracte entre l’Empire allemand et le IIIe Reich. Si l’art, la littérature, la vie politique, le cinéma de fiction, les journaux, nous restituent avec force les créations et les contestations nées du bouleversement de la défaie de novembre 1918, combien plus visibles encore devaient-elles être concentrées aux actualités ? Par un mot un peu prétentieux, je dirai que je pensais voir en images la lave de l’Histoire : en fait, elle se présente plutôt aux actualités comme de la soupe ou du sirop.

Enfin, en me limitant à des actualités tournées par des firmes allemandes, et consacrées exclusivement à l’Allemagne, je changeais de point de vue, je pouvais me concentrer et voir, tâcher de voir, comment les Allemands voulaient - étaient désireux- , de représenter leur pays, et comment se traduit en images animées le sentiments d’appartenance à une nation, une communauté culturelle et politique, en un mot, existait-il et si, oui, comment se constituait, comment fonctionnait, comment évoluait ces images de la Germanité, (pour parler comme Roland Barthes) ?

II. Sources et méthode

Une fois déterminés le temps et l’espace où j’allais travailler, s’est posé le problème des sources, et, en creux, s’ouvre celui des lacunes du catalogue.

 Avant 1933, les documents filmés étaient conservés dans les maisons de production : aucun organisme d’ensemble n’existait pendant la République de Weimar, pour le recueil et la conservation des films. Un premier regroupement s’est opéré au bénéfice de la société UFA, qui a acquis progressivement, entre 1927 et 1932, le monopole des actualités. Dans l’été 1933, Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, a mis sur pied la Reichsfilmkammer, Chambre Nationale du Film, qui avait, entre autres fonctions, celle de cinémathèque. L’essentiel des destructions que l’on déplore aujourd’hui avait précédé la mise en place de cet organisme ; elles sont dues à deux raisons, tout à fait indépendantes, qui ont coïncidé dans le temps, c’est-à-dire entre 1929 et 1932 : d’une part la crise économique pousse les producteurs à détruire les bobines qui ne sont plus en exploitation afin de récupérer les sels d’argent pour la fabrication de pellicules vierges ; d’autre part, l’apparition du cinéma parlant condamne en priorité les bobines muettes à disparaître ; au fur et à mesure que les salles sont équipées de matériel de projection adapté au sonore, le format des bobines muettes étant en effet plus étroit, en l’absence de bande son, elles sont détruites. Les documents ont donc été massivement détruits à la fin de la République de Weimar, en même temps, d’ailleurs, que dans tous les pays. Le catalogue est marqué par cette lacune qui n’a pas l’espoir d’être comblée.

Par contre, il existe un espoir de remédier un jour, sans doute, à une autre lacune du catalogue de la BundesArchiv (Coblence et Berlin-Ouest), celle que représentent les bobines qui se trouvent en possession de la Staatliche Kinemathek de Berlin-Est.
Trois années de suite, j’ai fait les démarches nécessaires pour obtenir l’autorisation de visionnement de leur fonds sur les années de Weimar.
Trois réponses, différentes, dans leur forme, mais toujours négatives : une fois, « Non » sans autres explications, ce n’était juste pas possible ; les autres fois, on m’a répondu qu’il n’existait pas de table de montage à disposition des chercheurs. Je n’ai même pas pu savoir à combien ce fonds s’élève approximativement puisque, selon la direction, il n’ a pas fait l’objet d’une recension.

Tel quel, le catalogue, avec ses lacunes, frappe par son genre uniforme, voire par sa monotonie : l’engouement pour les séquences sportive et les reconstitutions historiques, la présentation affadie des évènement politiques contemporains, détachée de tout contexte et de toute explication, le goût pour le flash, forment ce que Klaus Wipperman appelle « une cérémonie d’impressions optiques ». Cette uniformité des documents présentés peut-elle être garantie de ressemblance avec ce qui est aujourd’hui disparu ou inaccessible ? Il est impossible de répondre affirmativement à la question ; je serais tentée cependant, au terme de ce travail, de pencher dans cette direction.

 Abordant à présent la question de la méthode, je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les procédés employés pour le visionnement des films et l’établissement de chacune des fiches. Cette étape est présentée largement dans les introductions des tomes I et II. Je voudrais seulement rappeler que cette ’méthode" est beaucoup plus une ébauche, une tentative, qu’un modèle ; ce catalogue est, en effet, le premier du genre, cela m’a permi de ne pas me soucier de contraintes précédentes, j’ai pu jouer les pioonnières en toute tranquillité mais ce voyage en terra incognita n’a pas toujours été commode entre les sables mouvants de la minutie inutile et la myopie acquise au ras des fiches.

Pour l’analyse des documents filmé, le terrain était beaucoup plus accueillant. M’y attendaient trois brillantes et efficaces études, les analyses de Marc Ferro sur les actualités russes de 1917 ; celles de H.-J. Enzensberger sur les actualités allemandes des années 50, et celle de Klaus Wippermann, sur quelques-unes de « mes » séquences la République de Weimar, notamment la 3e semaine de l’année 1926 produite par la UFA.

Où je me retrouvais seule, c’était par la grande quantité de documents rassemblés, 648 fiches, représentant 16 000 mètres de film (16 kms !).
J’ai adopté successivement deux approches.

La première est chronologique : le dépouillement, année par année, qui constitue le IIe chapitre du Tome I, a mis en lumière les thèmes favoris, leur évolution ou leur fixité, et a permis le repérage des traits d’écrritude filmique dont je reparlerai dans un instant.

La deuxième approche a été thématique : j’ai choisi d’étudier l’image des femmes telle qu’elle se constitue à travers les actualités de cette période ; ce thème avait l’avantage de recouper horizontalement une grande partie des fiches chronologiques. Il permettait aussi d’échapper au classement arbitraire effectué par les firmes productrices selon le sujet vedette, classemennt appauvrissant et réducteur, qui laisse échapper les « lapsus » filmés.

Dans cette double approche, j’ai collé le plus possible aux images, aux cadrages, à la place des personnages dans le champ filmique, à l’enchaînement des plans et groupes de plans, essayant de ne pas plaquer un discours écrit sur un discours filmé mais de décortiquer ce discours filmé.

III. Apports, conclusions, perspectives

Pour la IIIe partie de cet exposé, je voudrais indiquer les apports et les conclusions de ma recherche et les perspectives qu’elle ouvre.

 Tout d’abord, l’essentiel a consisté dans la réalisation du catalogue proprement dit des actualités disponibles de l’Allemagne de Weimar dans les cinémathèques d’Allemagne Fédérale (Coblence, Wiesbaden, Berlin-Ouest) [1] qui constitue les tomes II à VI du travail présenté aujourd’hui.
Chaque fiche comprend la description du film plana à plan, ou groupe de plans par groupe de plans : elle donne aussi des renseignements d’ordre technique, la nature, le format, la alongueur du document, les cadrages des plans et les mouvements de caméra. La fiche fournit enfin des renseignements signalétiques, date de tournage ou de production, nom du producteur, référence en cinémathèque. Ce catalogue est conçu pour faciliter l’accès aux documents filmiques qui y sont décrits. Il n’est, bien entendu, en aucune façon destiné à se substituer au visionnement direct mais il doit permettre aux chercheurs et aux réalisateurs le tri et le choix des documents qui peuvent éventuellement leur être utiles, parmi une masse classée sommairement. Le classement chronologique a été complété par des index basés sur le contenu visuel et sonore du film, noms de personnes, lieux, matières et thèmes, bandes sonores principales (l’essentiel est encore dans la période muette).
La comparaison détaillée des documents filmés avec la presse allemande du temps, (quotidiens, revues) m’a permis d’apporter bon nombre de précisions au contenu des films et de rectifier des erreurs ou des bizarreries du classement sommaire des archives allemandes. Ces imprécisions et ces erreurs étaient dues à la mutilation ou au réemploi sauvage de certaines bobines et à la nature même des actualités : la banalité de certaines prises de vue, l’abus des plans généraux et d’ensemble, l’utilisation de montages et de titres stéréotypés constituent les plus grands obstacles à la datation des évènements ou à l’identification des personnages. Toutes les incertitudes n’ont pas été éliminées, j’espère au moins les avoir toutes signalées, et en grande partie résolues.

 Hors du domaine proprerment documentaaire, la nature et le nombre des documents présentés faisaient toucher à des terrains très variés, économiques, sociaux, politiques etc.
Il a fallu clarifier l’histoire de la production des actualités allemandes généralement passées sous silence ou plutôt considérée comme englobée dans l’histoire générale de l’industrie du film : elle est, en fait, légèrement en marge de cette dernière, car les producteurs allemands ont pris soin, entre 1918 et 1933, de faire de la production des journaux filmés une activité séparée, menée par une filiale spécialement créée à cet effet, et qui ne suit pas toujours exactement l’histoire de la maison-mère.

Pour reconstituer l’histoire embrouillée de ces filiales, j’ai eu la chance de trouver à l’Institut du Film de Wiesbaden un document précieux : les 5 Annuaires de l’Industrie du Film - Jahrbuch FilmIndustrie - édité par la Lichtbildbühne. Ces Annuaires couvrent exactement la période que j’ai étudiée, 1918-1933 : ils donnent la composition des firmes liées à l’industrie du film, indiquent les accords particuliers à chacune d’elles, les bilans annuels, la composition des conseils d’administration et, à partir de 1923, la liste complète de tous les courts et moyens-métrages produits en Allemagne. Ces documents ont permis de montrer l’originalité des firmes allemandes d’actualités : si elles obéissent au mouvement mondial de concentration de l’industrie du film entre 1919 et 1929, elles ont ceci de particulier qu’elles se trouvent réunies dans les mains du capitalisme industriel allemand hostile au gouvernement, et qu’elle se trouvent de fait dans l’opposition. L’histoire des actualités confirme bien le divorce entre le pouvoir en place, c’est-à-dire les formations politiques dites de Weimar, et le pouvoir financier. Ce pouvoir financier favorise la parution d’images conformes à sa propre idéologie, idéologie de nostalgie impériale et d’espoir de restauration, voire, pour certains de création d’un IIIe Reich en substitution à l’Empire, en t-attendant l’Empire, en somme, : en tout cas, les images censées apporter les « nouvelles » ignorent, déforment, voire méprisent la République et ses formes d’expression.

La personne d’Alfred Hugenberg, ancien président du directoire de Krupp, président du Parti national-allemand et président du conseil d’administration de la UFA - firme qui, en 1932, a fait main basse sur toutes les journaux d’actualités -, résume bien cette alliance de l’information filmée , de l’opposition d’extrême-droite et du capitalisme financier de l’industrie lourde. Il serait intéressant de comparer la position des actualités de Weimar avec celle qu’ont pu prendre ls actualités américaines par rapport au New Deal, par exemple, ou les actualités françaises au moment du Front populaire, c’est-à-dire dans des périodes où les initiatives politiques et sociales d’un gouvernement peuvent contrarier les intérêts de la haute finance.

 Ce point d’histoire éclairci et confirmé par l’étude du contenu des films d’actualités, j’ai abordé l’histoire de la place faite aux femmes, ou prises par elles, dans la société au temps de Weimar. Si les femmes sont présentes dans 47,2% des sujets du catalogue, elles n’en occupent que 6,3%, en tant que vedettes accompagnées ou non d’hommes, ou seules, sans aucune compagnie masculine ou sans enfants. Ces proportions, par rapport à l’ensemble du catalogue, signalent une occultation ou une déformation possible de la vie féminine aux actualités.

Les 47 femmes ou associations de femmes, considérées comme dignes de faire déplacer une caméra sont des artistes du spectacle, des reines de beauté ou de mode, ou des figurantes de survivance folkloriques. C’est vraiment « l’Éternel féminin » tel que des générations l’ont forgé, avec ses deux volets, la femme-objet (mi luxe, mi luxure) et la femme au foyer conforme à un idéal de santé et de tradition, idéal garant de son rôle de reproductrice, garante de la Famille.

Ce double aspect de La Femme, avec une majuscule, ne nous étonne pas sur un écran dominé par la droite conservatrice, et à une époque où, mondialement, les mouvements féministes marquent le pas.

Dans les 40% du catalogue où les femmes sont filmées par hasard, pas pour elles, dans les rues, dans les lieux publics, ou chez elles, l’Éternel féminin est quelque peu obscurci et compliqué, complexifié : entre les femmes objets et les femmes des valeurs conservatrices que sélectionne la caméra quand elle travaille sciemment, circulent ici des individus féminins divers , mères de famille, dactylos, cuisinières, manifestantes de droite ou de gauche, conférencières, photographes, standardistes, etc. Par ces images (involontaires) les actualités montrent que, parmi les indifidus féminins, certaines rentrent parfaitement dans le modèle désiré et proposé : témoins, les femmes du monde élégant, qui assistent à des matches de tennis ou aux courses équestres, autant de copies de la femme objet de luxe et réussite de l’homme qui les accompagne ; témoins aussi, les femmes faisant des gratins ou leur grand ménage de Noël, copies du volet femme au foyer. Mais d’autres contrarient les deux modèles, ainsi celles qui en 1918 applaudissaient les Spartakistes, celles qui suivent, indifféremment mêlées à des hommes, l’enterrement de Rosa Luxemburg, ou à l’opposé, les Ethiopiennes exhibées au Zoo de Hanovre, ou la marchande de sandwiches de Bingen. Elles sont autant de lapsus des images.
Il existe un point commun, cependant, à la vision voulue et à la vision de hasard, au modèle et aux « lapsus » : le nombre et le choix des vedettes féminines, le confinement des femmes anonymes dans des travaux d’exécution ou des tâches ménagères, des petits boulots, signent partout leur absence éclatante des rôles de pouvoir et des institutions.
Une fois enterrée Rosa Luxemburg, les femmes disparaissent de ce qu’on montre comme rôle politique, elles sont à l’évidence encore reléguées en « Deuxi§me Sexe » et l’égalité des droits civiques n’y a rien changé au niveau des images.

 Il reste enfin à parler du travail entrepris sur les images filmiques propres aux actualités, et à l’idéologie simple, simpliste, qu’elles nourrissent.

Monument commémoratif de la Bataille des Nations
(Leipzig 1813), édifié en 1913, photo HP (2006)

L’analyse chronologique a permis de repérer d’une part un petit nombre de thèmes privilégiés autour desquels s’organisent chaque semaine les journaux filmés, et d’autre part l’existence de sortes de tics d’écriture filmique. Les sports, les commémorations historiques ou les fêtes folkloriques, les grands travaux, les catastrophes, les grands hommes et les vedettes de tous ordres, coffre aux trésor de la presse écrite, figurent parmi les sujets préférés des chasseurs d’images d’actualités.
La récurrence de ces thèmes se double de stéréotypes au niveau des prises de vue, des constructions et découpages des sujets, et, au temps du muet, des titres et intertitres. C’est cette étude des stéréotypes filmiques - appliqués à un nombre réduit de thèmes, tous raccorchés, de près ou de loin, à l’exaltation du nationalisme, des valeurs sociales du caractère allemand -, qui a conduit à la conclusion pour l’instant provisoire de mon travail et à l’esquisse de ce que j’a appelé, suivant la terminologie de Roland Barthes, la mythologie des actualités.

Il semble en effet que les actualités travaillent à la façon des films de Tarzan, qui affirment à leurs spectateurs qu’à travers des diverses péripéties et catastrophes, les mythes sont toujours en place : le bon sauvage est toujours le bon sauvage, le bon singe est toujours l’ami de l’homme, les incartades et les trahisons sont punies, le courage et la probité récompensés. La fixité des caractères, aidée par le poids surnaturel des mythes, assure la continuité et permet aux spectateurs, au milieu d’apparentes aventures, de toujours s’y retrouver.

Les actualités présentent un monde qui fonctionne de façon identique, les stéréotypes filmiques phagocytent immédiatement nouveautés et catastrophes, les classent dans une rubrique connue, leur donnent un air de famille et les brassent dans le rassurant ron-ron des quinze minutes hebdomadaires : de même que Tarzan est toujours bon et animé d’intentions pures, de même l’Allemagne est toujours grande, le peuple discipliné et joyeux, le bon vieux temps toujours présent. Les fausses notes à cette symphonie rassurante sont passées sous silence, ou expulsés par le ridicule, le discrédit de la saleté ou de la bizarrerie. Et le tout est garanti dans une sorte d’essence propre à l’Allemagne, la Deutshheit et la Deutschtum, à la fois communauté par le caractère et génératrice de ce caractère, à la fois surnaturelle et incarnée, jamais définie, seulement montrée, par des signes, et qui, dans les actualités, les fondent en même temps qu’elles en dérivent.

Une fois, une seule fois en quinze ans, les spectateurs des Wochenschauen ont dû vraiment sentir le monde bouger et la « germanité » osciller : c’est en novembre-décembre 1918, où les actualités visiblement désorganisées, affolées par la défaite et la Révolution, ont oublié leur rôle de berceuse, pour transmettre un tremblement de vie, de nouveau, d’inconnu.
Rien de tel ne se produira en janvier 1933 où l’accession d’Hitelr au poste de chancelier paraîtra au travers d’un défilé de S. A. porteurs de torches, défilé photogénique et complaisamment filmé, sous les fenêtrtes du palais présidentiel, où Hindenburg soul !ve un coin de rideau pour les regarder, aux côtés d’Hitler radieux.

Si dans ma thèse j’ai intitulé cette conclusion Une Mythologie ?, je l’ai nantie d’un point d’interrogation. J’ai voulu souligner ainsi qu’il ne s’agot ici que du premier fragment d’une étude du langage des actualités comme écriture filmque et comme véhicule idéologique ; cette étude ne prendra sa valeur qu’après l’analyse d’actualités d’autres pays et d’autres temps.

C’est pourquoi la dernière partie de cet exposé tout autant que l’ensemble de mon travail, s’est voulue plus une porte ouverte sur d’autrtes recherches qu’un apport de conclusions définitives.

Notes

[1La bibliothèque de la BundesArchiv de Coblence l’a accuelli avec bienveillance et intérêt.