Le XXe siècle : Hans Hartung

Un espace magnifique

MAM, Hartung, Une des salles des grandes acryliques
HP

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rouvre ses portes après la rénovation de ses beaux espaces, repeints, redessinés en partie et dont la beauté très pure suffirait, même vides, à valoir la visite. Du 11 octobre 2019 au 1er mars 2020, ils accueillent Hans Hartung (1904-1989), avec environ 300 œuvres de ce peintre abstrait, énergique et puissant et dont je n’ai découvert qu’après coup la vie très attachante.
L’exposition est titrée, « La fabrique du geste, Hans Hartung ». Je renvoie ici au dossier de presse très bien fait du Musée et ici à l’article de Wikipedia que j’ai trouvé commode pour sa biographie aventureuse et souvent héroïque dont j’ignorais tout.

Cette exposition m’a enchantée, je suis une fervente de l’abstraction, qu’elle soit pure et dure ou expressionniste et lyrique (ce qui est le cas de Hans Hartung). Je connaissais « des tableaux » d’Hartung, vus à la faveur d’expositions collectives sur l’abstraction lyrique, ou deci - delà dans des musées. J’ai fait avec cette rétrospective la connaissance plus complète, plus organisée, d’un homme remarquable de droiture et de fidélité sur le plan humain et politique, dans une approche picturale toujours plus vaste d’une vision cosmologique du monde.

« Signes et Rythmes »

Le parcours est chronologique et montre la place constante de la peinture et de la recherche dans sa vie quelles qu’en soient les circonstances, et elles ont été souvent difficiles ; la rétrospective ouvre intelligemment par deux œuvres placées côte à côte : une aquarelle [1] de ses débuts (les Années Vingt), et une toile à l’acrylique de la fin de sa vie (1989), rendant compte de son intense rapport à la couleur et à l’explosion toujours plus ample de son geste.

Hans Hartung
wikipedia

Comme Charlotte Perriand, comme Nathalie Sarraute, tous honorés par des commémorations, Hartung s’inscrit dans le XXe siècle qu’il occupe en grande partie - un siècle violent, cruel et novateur - , il y participe intensément, très intensément, il le traverse et il en est traversé.

Il naît à Leipzig en 1904, vit et fait ses études d’abord à Dresde, Leipzig, Berlin qui étaient - et sont toujours - si riches sur le plan intellectuel et artistique. C’est le temps de la Première guerre mondiale puis de la défaite allemande et de la république de Weimar, avec ses troubles, ses créations, ses transformations brutales ou sournoises. Hartung y connaît et admire Emil Nolde, Kokoshka, Kandinsky et parlera des éléments pionniers et permanents de ses travaux dans ses aquarelles et ses fusains du début des Années Vingt : « On trouve ici en prémices presque la totalité de mes éléments, de mes signes et rythmes futurs, les taches, les « poutres », les courbes, les lignes [2] ».

Voyant la montée de la dictature nazie [3], il quitte l’Allemagne pour Paris, où il rencontre sa femme Anna-Eva Bergman (1909-1987, norvégienne, influencée par E. Munch) et de nombreux peintres et artistes, Fernand Léger et Mondrian, Miro, Calder, Julio Gonzalez lui-même très lié à Picasso. Il épouse A.E. Bergman en 1929 et fera plusieurs voyages avec elle, en Europe du Nord notamment. Dans les années précédant la Deuxième guerre mondiale, on voit un peu ces influences apparaître dans ses tableaux, mais il mène ses propres recherches tous azimuths à propos des supports (toile, papier), des modes d’expression (dessin, peinture proprement dite, photographie) des matériaux divers, huile, pastel, aquarelle, fusain, encres ; il garde toujours une originalité et un dynamisme propres, une espèce de patte à la fois précise et chaude.

L’exposition permet de voir beaucoup de carnets, de photographies et des documents video où on le suit dans ses divers ateliers. Il reste toujours fidèle à sa propre dynamique alliée à son refus d’influencer le spectateur par des titres - donnés aux œuvres - auxquels il ne voit aucune utilité ; il adopte une classification purement signalétique qui tient compte du matériau dominant (P pour Pastel, T pour toile, etc, suivi de l’année de la composition, elle-même suivie de la place de la pièce dans l’année et dans le matériau , ainsi T1946-11, parle de soi-même, et ne prie pas le spectateur de lire telle ou telle idée qui planerait dans la composition. L’œuvre est inscrite dans le temps et la matière, dans la vie. Elle est simplement ouverte aux yeux du visiteur qui en fait ce qu’il veut ou peut.

Un vrai et simple héros

À la veille de la guerre, n’étant pas naturalisé Français, il s’engage une première fois en 1939 dans la Légion étrangère pour lutter contre les Allemands ; puis il est démobilisé. La guerre est une période difficile étant donné son statut mais il ne cesse pas de peindre ou de dessiner, donnant même des cours d’histoire de l’art dans le camp de concentration où il est enfermé momentanément en Espagne. Il se réengage dans la Légion étrangère en 1944 en France, après le débarquement, en tant que brancardier, pour ne pas avoir à tuer ses semblables mais seulement à les secourir. Blessé pendant la campagne d’Alsace, il est amputé d’une jambe, en deux fois, d’abord sous le genou, puis à la hauteur de la cuisse par suite d’erreurs médicales et de mauvaises conditions sanitaires. Il marchera toujours avec une prothèse et deux béquilles [4].

Le monde s’ouvre

Après plusieurs années de séparation où il a même été mariée avec Roberta, la fille de Julio Gonzalez, il retrouve Anna-Eva Bergman (dont il avait divorcé en 1939, peu avant la guerre) en 1952 ; ils se remarieront pour de bon en 1957 et fonderont ensemble en 1973 leur villa-atelier d’Antibes qui deviendra une fondation en 1994.

Il peint ou dessine ou photographie toujours, animé par son énergie débordante, son désir de la fusion dynamique avec le monde très lisible dans ses œuvres, son goût pour les cailloux, les grandes silhouettes d’herbes, sa passion ancienne, venue de l’enfance, pour la cosmologie, les galaxies, la foudre, les explosions naturelles du monde. Les Années Soixante le font connaître internationalement, il devient l’un des artistes célèbres de l’Abstraction lyrique et de l’Action Painting.

Il a continué toute sa vie ses recherches sur les moyens employés, prenant des balais de genêt comme pinceau géant, utilisant des sulfateuses ou des tuyaux d’arrosage pour asperger ses toiles, griffant parfois l’épaisseur de la peinture. La matière picturale : on resterait des heures à la regarder - lisse, ou granuleuse, ou rayée - dans des coins des tableaux, ou en reculant, dans les grandes salles pour saisir plusieurs œuvres d’un seul coup d’œil.

Plus les années passent, plus les formats augmentent. Au fur et à mesure de l’exposition, on a des toiles de plus en plus majestueuses dans les formats ou les couleurs, utilisant les couleurs froides et acides comme des « coups de clairon » ( une citation de lui dans l’exposition l’affirme). Les bleus passent du léger au profond et vice-versa, les jaunes, du soufre au citron ou au lumineux ensoleillé, des gerbes noires éclatent, des grosses taches s’épanouissent sur des fonds sourdement lumineux , les rouges sourds et les rose attirants , des gris doux comme des nuages, un plaisir sans cesse varié et retrouvé.

Les dernières salles contiennent des éblouissements.

On sort avec naturellement l’envie d’y retourner.

MAM, Hartung Les « coups de clairon »
HP

Notes

[1Une aquarelle dans les ton violet, rose et rouge, qui m’a fait penser tout au long à la « mer vineuse » chère à Homère.

[2cf article de Wikipedia, citant Hans Hartung, Autoportrait, p.20, ouvrage paru à Dijon aux Presses du réel, en 2016, », un bouquin qui me reste à lire.

[3Il apprendra plus tard qu’il était placé sur la liste des artistes dégénérés.

[4De retour à Paris en 1945, il est naturalisé français en 1946, décoré de la croix de guerre 1939-1945, de la médaille militaire et de la Légion d’honneur.