Que faisiez-vous aux temps froids ? Le monde de Néandertal

Un bouleversement

Il faut faire un sérieux retour en arrière, pour retrouver les Néandertaliens, représentants d’une branche disparue de l’espère Homo. D’autant qu’entre la découverte de leurs premiers restes (1856) et nos jours, une couche de légendes dépréciatives s’est installée, faisant d’eux des êtres velus et brutaux, armés des gourdins, pas très éloignés de King Kong ; ils ont animé, sans aucune raison scientifique, des tableaux, des bouquins et des films, et même des discours de certains savants. Une partie de l’exposition leur est consacrée, on voit des sculptures, des peintures qui, en effet, les dotent de brutalité, d’une sauvagerie parfois épouvantable, que notre arrivée, à nous Homo sapiens sapiens, polis, élégants, gracieux, aurait fait disparaître ?

Cette caricature que le XIXe puis le XXe siècle ont faite de l’Homme de Néandertal traduit la peur qui a surgi devant l’inconnu, quand après s’être raconté qu’on était la créature d’un Dieu, on doit admettre qu’on est l’étape d’une évolution, la branche d’une espèce.

Calotte crânienne, Neandertal
HP

Remettons 1856 dans son temps : la découverte de la calotte crânienne d’un « homme » dans la vallée de la Néander, coïncide à peu près, dans le monde scientifique, avec la parution des travaux de Darwin, on se rappelle que L’origine des espèces sort en 1859. Le monde est mis devant un questionnement et un bouleversement sur les origines de l’humanité, un tremblement conceptuel concernant la supériorité de l’espèce humaine - affirmée jusqu’alors-, cerise merveilleuse sur le gâteau de la création tout entière à son service. Darwin et Néandertal disent ensemble l’inscription de l’homme dans le règne animal et sa capacité d’évolution : le monde devient transition, adaptation.

Répartition de l’Homme de Néandertal
CC BY-SA 3.0

Réhabilitation

De ce récit de la préhistoire, savant ou non, hésitant et trafiqué, qui se constitue depuis 1856 au fur et à mesure des découvertes de traces, de fossiles, de travaux scientifiques eux-mêmes en constante évolution, les deux commissaires Marylène Patou-Mathis et Pascal Depaepe présentent les éléments qui permettent, après la longue dépréciation de l’Homme de Néandertal, une version mieux étayée, décelant chez ce dernier les éléments d’une culture certaine.

Costaud, musclé, adapté au froid et au manque de soleil, un gros front et pas beaucoup de menton, Homo neanderthaliensis a vécu en Europe et en Asie sans doute depuis environ 400.000 ans, bien avant la dernière grande glaciation de l’hémisphère Nord - 120.000 à -10.000 ans -, qu’il s’est coltinée dans presque toute sa durée, avec ses paysages froids, ses gros animaux genre aurochs, mammouths, etc. qu’un « paysage » présente d’entrée de jeu pour ouvrir l’exposition.

Ces hommes, dont on sait à présent qu’ils vivaient par petits groupes d’une trentaine d’individus, pouvaient se déplacer au fil des chasses et des cueillettes, pouvaient échanger des paroles vocalisées (les études anatomiques comparées en font foi) ; ils ont disparu il y environ 30.000 ans (certains spécialistes penchent pour 42.000), au profit d’Homo sapiens sapiens, le dernier rameau actuellement sur Terre, c’est-à-dire nous, qui avons migré depuis l’Afrique jusqu’à leurs domaines. Néandertal s’est éteint pour un faisceau de raisons exposées sur les panneaux sans qu’on sache laquelle a été prépondérante. Maladie transmise par les nouveaux venus ? baisse de la fécondité ?
Qui sait ?

Des études des génômes des deux branches (sapiens et neanderthaliensis) faites à l’Institut Max-Planck à Leipzig montrent un petit pourcentage commun d’ADN et de mutations par exemple celle pour l’adaptation au manque de soleil et au froid (peau claire, yeux clairs, rousseur). Sans pour autant déduire radicalement, dans ce cas, qu’il y ait eu échange de gènes par hérédité ou identité de réactions climatiques dans des situations semblables.

Vitrines et écrans

L’expo pourrait être écrasante par la somme de science qui sous-tend ces travaux sur la préhistoire. Mais loin de là, elle est, à mon goût - et comme c’est souvent le cas au Musée de l’Homme rénové -, un peu trop faite pour les enfants, population-cible de cette institution. Il y a souvent des groupes scolaires, et samedi, où c’était les vacances, il y avait quelques enfants avec leurs parents : ils tapaient avec ardeur sur les ordinateurs, déclenchaient les visuels enregistrés, appuyaient sur les boutons qui délivraient, si l’on coiffait un casque, des sons et des odeurs de la préhistoire... au lieu de regarder les prodigieux et touchants éléments humains des vitrines.

Homme de La Chapelle-aux-Saints
HP

Car le choc est là, dans les vitrines, dans ces os fossiles, qui ont appartenu à des vivants qui nous ressemblaient pas mal.
Des crânes, avec leur visage forcément tragique, à moitié ou aux trois quart démolis, aux dents inégales, aux orbites vides. Venant d’Allemagne ( la vallée de la Neander), de Belgique (Spy), de Dordogne, de Corrèze (La Chapelle aux saints), de Charente etc.
Le choc est dans les squelettes visibles dans des tombes, dans les cailloux taillés, leurs outils, les bifaces. Dans les godets pour délayer des pigments, fabriqués en os, encore tout colorés par l’ocre. Dans les restes de possibles ornements, plumes, cailloux.

Il faut donc considérer l’exposition comme un début, car elle donne envie d’en savoir plus [1]. Une suite de conférences a commencé et continuera au Musée de l’Homme pour donner l’état des travaux et les arguments des différents chercheurs. Et une littérature immense se crée au fil des recherches.

Post-scriptum

Les co-commissaires de l’exposition
Marylène Patou-Mathis est préhistorienne, directrice de recherches au CNRS, spécialiste des Comportements des Néandertaliens et des premiers Hommes modernes.
Pascal Depaepe est archéologue, docteur en préhistoire (Université de Lille I). Son principal thème de recherche concerne l’homme de Néandertal, et plus spécifiquement les interactions homme-milieu, les dynamiques d’habitat et le rôle des fluctuations climatiques dans le peuplement de l’Europe.

Notes

[1Un bon article dans Wikipédia, rédigé sans aucun doute par d’excellent spécialistes, présente l’historique, les controverses et l’évolution des recherches à partir de 1856, date de la découverte dans la vallée de la Neander (Allemagne, région de la Ruhr).