L’Embarquement pour Cythère 42

  • Par Hélène Puiseux

42. Rien sur la toile

Quarante-six lettres, trois virgules, trois apostrophes, un accent circonflexe, un accent aigu, le tout découpé dans un papier blanc très épais, de la carte, aurait dit M. Benoît, pas de point d’exclamation, ni d’interrogation, ni de suspension, les points de suspension, je les ai toujours trouvés dégoûtants, pourquoi, ce serait à examiner, un peu tard pour le faire, mais le fait est là, ils sont dégoûtants.

Devant lui, ouvert, pour la phrase à écrire sur l’affiche, sorti d’un bouquin de Balzac : « Mais tôt ou tard, il s’apercevra qu’il n’y a rien sur sa toile, s’écria Poussin ».

Pour le point qui finit la phrase, il hésite, problème de ce point, le mettre brutalement, fermement, serait intellectuellement honnête puisqu’il est dans le texte, il opte cependant pour ne pas le mettre, laisser le texte ouvert, comme ça, en l’air, justifier cet abandon du point par une note en bas de page, non mais et quoi encore, des notes en bas de page, ça fait quinze ans que je suis obligé d’en mettre, ah vous les chercheurs, dirait Céline, avec vos références et vos notes qui tiennent plus de place que ce que vous dites. Et puis c’est une affiche. Pas de note en bas de page.

— Qu’est-ce que tu fais, dirait cet idiot de Daniel, une affiche ? Tu te lances dans la pub, bravo, mon vieux, tu veux venir bosser à l’agence, tu te recycles, ton frère se recycle, Lili ?

Ce qui est tuant, chez Daniel, c’est son utilitarisme. Ne puis-je faire une affiche pour autre chose que pour lui et sa publicité idiote ? Pour rien ?

Post-scriptum

(À suivre)