L’Embarquement pour Cythère 25

  • Par Hélène Puiseux

25. Les petits secrets du tiroir secret

J’ai fracturé le tiroir du secrétaire en marqueterie de la chambre des parents, celui que Maman appelait « mon tiroir secret ». Impossible de l’ouvrir normalement, comme Maman le faisait, en faisant coulisser la planchette sous les tiroirs du haut. Il a l’air coincé. Petit pied de biche, crac, voici une trentaine de rouleaux de photos d’autrefois, certains vierges, d’autres pas.

Du temps où elle les faisait développer, les photos de Maman étaient bizarrement cadrées, on croyait que c’était une erreur, non, c’était comme une technique, un parti pris, les pieds coupés, le sujet décalé et à qui il manquait un bras ; témoin une photo, développée celle-ci : Lili et moi debout sur le perron, tout de travers, et dans le reflet de la vitre de la porte fenêtre, on voit Camille qui regarde, elle, visiblement hors cadre, souriant vers on ne sait quoi dans le jardin d’hiver, mais pas vers Maman ou nous.

Une photo de Maman et de Papa, tout jeunes, vingt ou vingt-trois ans, peut-être d’avant leur mariage : ils sont tout habillés sur une plage du Nord, genre Zuydcoote, avec petites dunes et oyats, il doit faire froid, ils ont des écharpes, ils rient, le vent les décoiffe ; on ne sait pas qui est le photographe. Pas de légende.

Une feuille de papier à lettre, à moitié coincée et déchirée, en fait, c’était cela qui empêchait d’ouvrir, c’est le 2e feuillet d’un courrier dont le premier s’est perdu, sans doute, écriture de Papa, coin gauche arraché.

Et au fond, un carnet : « Ce carnet appartient à Denis Portier » . Tout cela dans le tiroir secret de Maman. Papa y a écrit des textes, en prose ou en forme de poèmes plutôt désenchantés, certains un peu obsédés, qui me plaisent beaucoup, j’aimerais les avoir écrits, ou copiés, je ne sais pas s’ils sont de lui ? Je les ai lus ce soir, certains m’inspirent quelques occupations – le cortège hideux des vices, dirait le percepteur - et l’envie de les communiquer sous forme de fiches de couleur à Me Plock. Cher Me Plock, notaire et psychanalyste.

Post-scriptum

(À suivre)