Impressions d’un voyage au Japon, 2012. I Ière partie : autour de Kyôto

C’est l’histoire d’un voyage gâché par la personnalité de l’accompagnatrice et la densité absurde du circuit. Mais c’est le voyage où enfin, je suis allée à Hiroshima.

D’Osaka à Nara, jeudi 18 octobre 2012

Je vois le soleil se lever, bande mince de couleur rouge, lorsque nous survolons la Corée du Sud. Ce sera la seule ligne de soleil que nous apercevrons ce jour-là. Le petit dessin de l’avion, sur la carte qui est intégrée dans le fauteuil de devant, avance encore un peu vers l’Est, puis nous entamons une descente, à travers les nuages, sur Osaka.

Nous arrivons, par une pluie battante qui a duré toute la journée, rendant sombres les immeubles et les usines de la zone traversée, sombre mais brillante la végétation. Par la suite, on verra que rien n’était sombre, mais que tout était nuancé. Un car excellent attendait le groupe (13, sans compter XY, l’accompagnatrice française de l’agence, sur un parking pluvieux, sous un lacet d’autoroute qui desservait l’aéroport. Auparavant, on avait affronté le service de l’immigration japonais, un par un devant les fonctionnaires impassibles, dans une vaste salle hyper clean. J’avais été prise en photo, j’avais posé mes index sur de l’encre, et rendu des papiers tout cochés affirmant que je n’étais ni trafiquante, ni malade etc. Comme d’habitude.

Carte du Japon

A peine l’autocar démarré, XY, l’accompagnatrice a entamé un monologue confus, parlant à la fois d’aujourd’hui, du lendemain, du surlendemain, de l’obligation d’être toujours pile à l’heure, sinon, elle nous laisserait, elle se vantait d’avoir déjà fait le coup à d’autres touristes malappris, on sentait la menace de bons et de mauvais points dans une école maternelle d’avant-guerre, puis elle revenait à l’évocation d’un empereur du VIe siècle après JC, (ou du IIIe avant JC ?) dont elle épelait le nom comme si on était censé prendre en note le « cours » qu’elle faisait sans ordre, sur le « kofun », que nous allons visiter, et qui serait, si je suis bien, une zone d’espace vert en forme de trou de serrure et recouvrant un tombeau sacré ?Assez incompréhensible.

L’autocar, silencieux, confortable, roulait dans des encombrements, sur des lacets d’autoroutes urbaines, sous des rideaux de pluie, perles baroques innombrables qui glissaient le long des vitres impeccables ; au dehors, défilaient des paysages continus d’usines que j’aurais voulu toutes photographier tant elles étaient belles et tristes, témoins d’activités dans un paysage digne des « Nibelungen », à la fois forcées et peut-être inutiles et menacées ; on longeait un port interminable ; dans les rues, on surplombait des parapluies de couleur, des petites maisons au milieu des grandes bâtisses grises très rectangulaires, un Mac Do tout rouge, des camions. 

Je souriais un peu à la petite dame de l’autre côté de l’allée du car, elle prenait des notes en levant les yeux au ciel devant le fouillis déversé d’informations historiques, pratiques, énumération coupée de « Je vais y revenir », sans revenir jamais, parsemé d’anecdotes où je comprenais de plus en plus nettement qu’on aurait à faire à une sorte d’institutrice mal coiffée et hystérique qui répétait qu’elle ne supportait pas les retardataires ni les dames qui se faisaient des brushing, thème honni qui est revenu souvent ; quand on voyait les femmes du groupe, simples et gentilles, on se disait qu’il n’y avait pas de risques. XY, elle-même n’avait pas dû s’en faire souvent. Mais elle installait son espace d’autorité avant même de prendre connaissance de sa cargaison, sans avoir demandé si aucun de nous avait déjà été au Japon, avait un peu étudié la civilisation nippone, avait déjà mis les pieds en Asie ; de cela, elle se fichait, il fallait juste parler d’elle et de « son » voyage. Comme toujours en commençant un voyage, encore enroulé dans l’inconnu, j’avais cette interrogation : pourquoi fallait-il subir un tel décalage entre une envie d’ailleurs et le fait de venir écouter une dame dans un car moelleux débiter ses desiderata de guide en regardant glisser les gouttes brillantes ?

Le voyage allait peu à peu s’écrire, se remplir.

Arrêt du car dans un parking vide : il pleut à torrent, on s’équipe, j’ouvre mon parapluie à impressions mauves, un peu cassé, on marche en petit groupe mal déplié vers une grille, et au-delà de la grille, nous voyons un espace immense et bien ratissé ; il mènerait, si la grille était ouverte, à une colline couverte d’une forêt aux contours arrondis, sombres, des sortes de pins, sapins et cèdres, la végétation est comme ordonnée, pensée, très belle.

Mais voilà, on n’entre pas dans le kofun de l’empereur Nintoku, et ce n’est qu’en rentrant à Paris qu’une photo Google me fera comprendre l’imbrication actuelle de l’espace sacré du tombeau de l’empereur dans la zone urbanisée de Sakai, entre Osaka et Nara.

Cet énorme tertre, construit en 3 terrasses, entouré de douves aux eaux vertes, contient en son centre le tombeau principal, il est entouré de quelques petites tombes plus modestes. Dommage qu’il pleuve.

Mais la pluie n’arrive pas à éteindre la douceur des feuillages, la couleur et le volume velu des aiguilles des résineux. Premier signe de l’intense présence des arbres et végétaux japonais, qui n’arrêteront plus, au cours du voyage, de se déployer avec grâce, avec science. Nous restons sur un petit pont, qui franchit des sortes de douves aux eaux vert clair, un héron est posé sur un petit rocher.

L’administration impériale, encore actuellement, interdit sous diverses raisons les fouilles qui risqueraient d’enlever aux kofun leurs mystères nationaliste sacrés, parait-il. Cela me rappelle le cas de Xi’an où la tombe du premier empereur proprement dite reste « hors fouille ».

Il y a de nombreux kofun au Japon du sud, ici, à Sakaï, près d’Osaka, beaucoup d’autres dans l’île de Kyushu, ils sont témoins d’une civilisation tournée vers l’association du sacré et d’une nature à la fois vénérée, travaillée, et jardinée pour l’embellir et la majorer. Traits qui vont perdurer dans le shintoïsme. Certains, comme celui que nous voyons sous la pluie, sont en forme de trou de serrure : ce qui m’intrigue, c’est que c’est un trou de serrure pour nous, et encore faut-il le voir d’avion pour le savoir, qui avons des serrures et des clés, mais pour les Japonais des premiers siècles, c’était autre chose à l’évidence, ça rimait à quoi, ces découpages, ces lignes ? D’autres kofun sont ronds, d’autres carrés, certains sont collectifs, d’autres n’abritent qu’un seul personnage important. Bref un mode de sépulture à la limite préhistorique, en tout cas, d’avant l’écriture et dans une société qui reste partiellement inconnue, qu’on semble heureux de garder légendaire.

Mélancolie du kofun, jeu de fuite et d’horizontalité

Très belle rencontre. Mais on regagne le car avec satisfaction, en secouant les parapluies. On reprend la route sous la pluie qui redouble si c’est possible. On n’y voit pas à deux mètres ! On croise des chimères à la fois colorées et délavées.

Camions rouges sous la pluie
HP

On croise des camions chargés de fûts rouges

Deuxième arrêt, cette fois dans la ville d’Ikaruga, où un « complexe » (dixit le programme) de temples bouddhiques nous attend. Auparavant, on déjeune enfin, car je meurs de faim, et, dans une petite salle arrière d’un restaurant, on ne voit plus la pluie pendant un moment. Ce sont des tables de quatre, on s’assied avec un ménage inconnu du groupe, forcément, et on engage une conversation minimale, êtes-vous déjà venu au Japon, êtes-vous de la région parisienne, eh bien voilà, ils sont de Rennes et ils ont, comme toujours dans les groupes, déjà beaucoup voyagé de par le monde, ils connaissent la Chine, mais pas le Japon. Ce jour-là nous avons donc déjeuné avec Tom et Hélène, Tom avait été marin et avait un grand visage busqué, et sa femme, une petite personne précise, parlait bien anglais : on a parlé du temps, le marin nous a découragés en disant que la météo, ça ne changeait pas comme ça, moi je pensais à mon proverbe « quand la nouvelle lune tombe dans l’eau, trois jours après il fait beau » et après vérification dans mon carnet, j’ai vu que le lendemain était le 4e jour, et devrait être donc beau. Dans le menu en anglais, avec des dessins explicatifs, on choisit une petite marmite avec de grosses nouilles Udon, où cuisent un œuf poché et une énorme crevette, genre langoustine, plus quelques légumes et champignon, très bon, bouillant. C’est servi en un clin d’œil avec du thé vert.

Et déjà XY est dehors, donnant des parapluies du restaurant aux gens du groupe, j’ai le mien, mais c’est vrai qu’il sera bien petit pour Alain et moi, Alain a pourtant son imperméable. Mais la pluie défie ce genre de protections.

On marche à vive allure, le nez sur le sol, le parapluie en pare-brise, vers un mur austère, et nous sommes suivis et entourés d’enfants en uniformes bleu marine et casquettes jaunes ou rouges : ils marchent dans la même direction, le temple principal, qui s’appelle le Horyu-ji, fondé par le prince Shotoku,et terminé en 603 ou 607, la pluie tombe de plus en plus grosse, XY montre dans l’air des lieux de rendez vous ici, non, là, avec quelques contradictions pour y aller ou se retrouver, pendant qu’elle va acheter les billets d’entrée, et nous partons, Alain et moi, nous mettre à l’abri sous un porche de bois, bouddhique certes mais peu efficace.

Ne voyant plus le groupe, et au bout d’un temps assez long, assez mouillés, nous partons à leur recherche, ils sont déjà entrés dans une enceinte, avec des bâtiments de bois sombres et sévères, un bouddhisme austère], impressionnant, très beau, une pagode de bois à 5 étages, un bâtiment central (le Pavillon des Rêves) avec un sens unique, on se perd plusieurs fois et finalement je ne vois rien, je n’entre pas dans le Pavillon des Rêves, beau bâtiment octogonal, tout en bois ; je n’écoute déjà plus, je n’ai pas dormi depuis des heures.

Dans les différents temples, il fait très sombre, les peintures murales sont strictement invisibles (au moins pour moi, mais je n’en suis pas à un Bouddha près, combien de fois ai-je entendu ces affaires de gardiens, de bouddhas du passé, du présent, futur, etc.). On boit du thé dans une petite boutique où stationnent, également trempées, des dames japonaises minuscules et habillées comme si elles sortaient d’un film de 1930. Côté démodé du Japon.

Au dehors, il fait toujours aussi dégueulasse, sol jaune et sableux ou cimenté gris ou gros pavés, je pense que la journée est perdue pour le plaisir mais je regarde tout de même, me rappelant que, au Temple suspendu, en Chine, et aussi dans le Wutaishan, il y avait eu de vilains jours de pluie. Il suffit de tenir jusqu’au soir, jusqu’à l’hôtel qui arrivera bien un jour… Les temples et différents sanctuaires, où nous entrons, très nombreux, sont vides de leur mobilier cultuel qui a été transporté à Tokyo, où nous le verrons au Musée. C’est partout le même problème, cette division entre les bâtiments vidés et les objets cultuels éloignés, on a le même sentiment en Chine, où, de plus, une grande partie des collections sont en exil à Taiwan ou à Guimet.

Dans un grand espace ceint de murs, la nature est travaillée, présentée avec un grand art des volumes végétaux, arbres, buis, que la pluie rendait brillants.

Lorsque je lis des descriptions du site, des édifices - pagode centrale, pavillons plus ou moins importants -, je me demande ce que j’ai vu, dans ce magnifique ensemble bouddhique, parmi les matériaux sombres et rendus plus sombres encore par l’humidité, les parapluies colorés qui se pressaient pour aller admirer la statue de bois de la grande Kannon, les casquettes monocolores des écoliers, selon les classes et les établissements : j’ai vu un Japon en foule se pressant dans un lieu prestigieux (Unesco 1993) et d’où, peut-être par la foule elle-même, ne se dégageait aucune sérénité. Deux mondes, l’un envahi, l’autre invasif. J’étais dans le monde qui participait à l’invasion : cela ne me faisait pas plaisir. Le premier contact, à la visite du kofun désert, ne m’avait pas préparée à cela.

Pourtant, malgré l’agacement causé par les troupeaux à parapluies, et le rythme imposé par XY, la couleur des bois de construction des bâtiments, intérieur et extérieur, leur harmonie, étaient sensibles, on aurait dit que les matériaux sentaient bon, alors qu’ils ne sentaient rien. C’était la douceur pour les yeux qui glissait dans l’odorat, mariage glissant des sens, au prix toutefois d’un effort considérable pour s’abstraire, pour gommer la foule. Il aurait juste fallu qu’il n’y ait pas de bruit. Ce n’est pas fait pour les gens nombreux et pressés.

L’après-midi trempée s’avançait. Las d’être mouillés ou mal abrités par des parapluies amicaux, Alain, Christiane, José, ont acheté chacun un vaste parapluie raide et transparent pour environ 5 euros, et le retour jusqu’au car en a été facilité. On traînait les pieds dans le sable jaune, et dans les ruelles, des Japonais locaux s’éloignaient des allées centrales et rentraient sans doute chez eux. Nous avons regagné le car moelleux et roulé dans la nuit qui tombait dès 4 heures jusqu’à une place encombrée près de la gare de Nara : l’hôtel Nikko.

L’hôtel était grand et majestueux, la réception, un peu démodée comme tout ce que je voyais depuis les temples, et que je verrai à Nara, gens âgés, adultes, enfants, modes, meubles, déco, etc. tout faisait facilement années Trente, tout sauf les adolescents de quinze/dix-huit ans, résolument « globish ». Dans le hall, au Ier étage, nous attend un personnage de roman, courtois et français, Frédéric, qui, selon toute vraisemblance, a pour métier d’accueillir les Français. Il a totalement intégré les affables courbettes japonaises.

Après nous être installés dans notre chambre 926, devant un paysage gris qui virait au noir de la nuit, Alain et moi, nous sommes redescendus à l’étage de la réception, et nous avons été nous taper une bière délicieuse dans le bar, dans des fauteuils confortables. Nous étions si bien tous les deux. On voyait par les très hautes fenêtres, les gros piliers qui soutenaient le Ier étage du bâtiment, la pluie tombait toujours, et nous sommes ressortis pour aller nous acheter à manger quelque chose dans un grand magasin au pied de la gare. C’est tout près, et nous trouvons même un passage couvert entre la réception et le centre commercial de la gare. On erre dans le magasin devant les rayons de « frais » , il y a deux étages et plusieurs entrées. Achat de plats tout préparés à manger froid.

Hélas, nous ne comprenons pas tout de suite que nous nous sommes trompés de côté en ressortant du magasin avec nos achats ; nous avons cru devenir fous et enragés, à courir dans les flaques sous des hallebardes, en demandant en anglais à des Japonais qui n’avaient pas l’air du tout de le parler, où se trouvait l’entrée de l’hôtel Nikko, qui devait se trouver forcément à cix mètres, mais qui avait disparu de notre champ de vision : la retraite de la Bérésina n’a pas été plus accablante ! Enfin, « Overthere, on the other side », grâce à un Japonais un peu anglophone, nous trouvons l’escalier roulant, en effet tout proche et de l’autre côté du bâtiment, on se jette dans notre chambre et on mange avec nos baguettes fraîchement achetées, dans les charmantes boîtes, des éléments de poisson et de seiche, avec des légumes genre navet, en vermicelle très fin. Il pleut toujours sur les vitres, sur la ville.

En arrivant au Mexique, autrefois j’avais eu une journée de pluie écrasante, et je m’étais demandé, assise sur mon lit, regardant et écoutant tomber des trombes dans la petite cour de la pension Laudereau, où s’entassaient des plantes vertes, « Mais qu’est-ce que je suis venue foutre ici ??? » À Nara, la situation était bien différente, elle était drôle et temporaire, j’étais avec Alain, je riais avec lui, je venais pour quelques jours de tourisme ; je n’étais pas, comme au Mexique, une immigrante qui cherchait à tourner une page grande et chargée, celle de mes vingt-et-une premières années.

Ethnologie des toilettes : nous découvrons l’immense plaisir d’y aller au Japon. Le siège est délicatement chauffé, tiède, dans un matériau spécialement doux. Sur le côté se trouve un petit tableau de bord avec des lumières vertes : y figurent plusieurs boutons avec des petits dessins, l’un avec des petites fesses stylisées arrosées par un jet en pointillé, qui vous lave le derrière ; sur l’autre, dessinées d’un trait plus épais, autre type de jet en ligne continue, paraissant plus tonique. Quand on appuie, la douchette s’élève tiède à souhait, on peut en modifier la chaleur avec un bouton blanc, et enfin, avec un 4e bouton rouge marqué Stop, on arrête. C’est DELICIEUX. On y passerait bien la soirée.

Je ne dors pas, tout y contribue, la fatigue excessive, le fait que je suis aussi allergique à la seiche, ce que j’ignorais : il y en avait dans notre plat, et j’ai toute la nuit des battements de cœur, je vais faire dix fois pipi pour éliminer le poison de la seiche et pour le plaisir de faire fonctionner le tableau de bord avec les douchette

Nara, vendredi 19 octobre 2012

Enfin, le jour se lève, enfin, il FAIT BEAU !

Ce matin, après un petit déjeuner pris aux aurores dans une salle à manger ronde, sombre, agréable, avec un buffet mi-japonais, mi-occidental, on part prendre un bus de ville pour gagner la colline et ses alentours où se trouvent les temples, le musée, bref, tout ce qu’il faut voir à Nara. C’est l’heure des enfants qui vont en classe, avec leurs uniformes, comme on en verra tout le séjour, bus pas trop bondé, archi-propre, sans bruit, nous somme surpris, le chauffeur coupe le contact à chaque arrêt ou feu rouge.

Fraîcheur du matin, bleu vif, arbres à peine touchés par l’automne. Des daims nous accueillent pratiquement à la descente du bus, dans le Parc où ils vivent autour des temples, mangeant tout ce qui leur tombe sous la dent, le papier notamment. Les daims sont des poubelles ambulantes et charmantes, plutôt affables, malgré les écriteaux dénonçant les méfaits et les attaques dont ils gratifient les touristes, animaux de légende, avec leur dos velouté brun tacheté de blanc, ils nous escortent jusqu’à l’entrée de l’enceinte.

J’ai juste le temps de prendre une photo d’un côté de la colline, qui devrait rendre le calme velouté du paysage, saisi par effraction.

Et puis on tombe face à la beauté du temple, quand on a la chance d’éviter un passage de hordes de visiteurs essentiellement scolaires.

Le temple est témoin de la grandeur de Nara, capitale pendant près d’un siècle (710-780). Puis, pour échapper à la tutelle des moines bouddhistes, elle a été abandonnée au profit de Kyôto, où nous dormirons ce soir. La ville avait été très influencée par la Chine, et son plan carré, avec ses grandes avenues se coupant à angles droits, s’inspire, dit-on, de Xi’an.

XY va acheter les billets, nous passons dans l’enceinte du temple, et déjà, le temps manque pour regarder les belles charpentes de soutènement des toits le temple ; ce grand temple du Grand Bouddha est souverain, olympien, il serait le calme incarné, le bonheur du temps suspendu. Le temple est très chinois d’aspect et de disposition intérieurs, le Bouddha en majesté est entouré de ses boddhisattvas, de ses fleurs de lotus géantes en bronze, de ses bimbeloteries de couleur disposées devant l’autel.

Dans ce temple si beau, sous son toit majestueux, je ne sens guère de ferveur, pas de fidèles, pas de bâtons d’encens (on en trouvera ailleurs). Pourtant les moines continuent de s’en occuper. Mais c’est devenu un temple de la consommation culturelle. Un escalier très haut et terriblement raide doit mener à l’étage supérieur qui donnerait, si on y grimpait, une vue cavalière de l’autel énorme et des « fidèles » qui tournent en dessous. Dans le coin gauche, derrière l’autel, un des gardiens gigantesques prend une allure presque louis-quatorzienne avec une cuirasse ouvragée et des pieds chassés de curieuses grosses chaussures molles ; je rate malheureusement mon cliché en zoomant, en profitant d’un répit dans le défilé des écoliers, ce qui lui donne un air tout flou !

Car des hordes véritables d’écoliers sont là, c’est pire que la veille, ils se renouvellent sans cesse, circulent au pas de course, enjambent les seuils sacrés, posent pour des photos de groupe, envahissent les escaliers, agitent leurs casquettes, suivent les profs vêtus de gris foncé qui tiennent de petits drapeaux ! D’où sortent-ils, ces mômes, puisque la natalité est en chute depuis des années, ils en sont à 1,29 par femme.

On est dans un tourniquet géant bien éloigné de l’esprit même du prince Siddharta, le Bouddha historique, le non-agir est ici recouvert par un « passez, passez, regardez vite, vous direz que vous y avez été » : là, il y a une alliance objective et néfaste entre la culture scolaire japonaise et la folie consommatrice d’espace culturel due à XY.

Dissonance entre le temps de la méditation et le temps du tourisme. Au Wutaishan, en Chine, où nous avions vu maints temples (sous la pluie), je n’ai pas eu cette impression de hâte, cet essoufflement : mais peut-être, maintenant qu’il y a tant de tourisme intérieur en Chine, ressent-on cette consommation sans profondeur. Vite, vite, quelques cartes postales, vite, vite, rendez-vous à l’angle extérieur gauche de l’enceinte du grand Temple (le daibutsu-den), là où nous passons devant les « gardiens » géants du dehors qui sont cachés par des grillages avant d’être restaurés.

Nous partons à travers la colline où se trouvent de nombreux autres sanctuaires, bouddhistes, shintoïstes, de nombreux escaliers, de nombreux écoliers. Une grande colline, espace sacré.

Les voyages de groupe posent toujours le même problème : il faut faire une adaptation hyper-rapide, changer de vitesse, être capable de saisir, sentir et voir « l’esprit des choses » en très peu de temps, gommer les surcharges dues aux autres, modifier ses capacités d’analyse et de perception, pour ne pas perdre, dans cette hâte, la beauté de ce qu’on voit et qu’on ne verrait jamais si on n’était pas venu là. Une affaire de temps et d’espace. Mais cette hyper-activité ne peut pas, chez moi, durer longtemps, au bout de quelques heures, je sais que je n’enregistre plus rien du tout.

Un coup d’œil en courant à la pagode à 5 étages. On monte ensuite à travers la colline, sentiers goudronnés, mélange d’arbres à feuilles caduques et de résineux, bien taillés, se mettant en valeur les uns les autres, sentiers adjacents avec petits graviers, grandes marches, et, dans cette verdure, on trouve une profusion de temples grands et petits, la plupart d’inspiration shintoïstes, peints en rouge orange, complètement pétant, davantage encastrés dans la nature. Des multitudes de petits sanctuaires, de petits groupe de statues de pierre groupées dans de petits rectangles bien délimités. La colline est un ensemble de syncrétisme shinto/bouddhisme] assez réussi.

Les grappes d’écoliers montent et descendent, sans regarder la vue générale de la ville de Nara, au loin, dans la plaine avec les collines qui l’encadrent. On commence à avoir faim, on marche dans cet espace très beau depuis plusieurs heures pratiquement sans relâche, à part la halte dans la petite maison où on peut boire du thé vert.
XY m’indique une décoration de grosses fleurs stylisées, elle annonce qu’on en verra plus tard, la semaine prochaine dans le parc de Nikko, du côté de Tokyo, et à ce moment-là, je trouve qu’elle fait bien son boulot, pour lier l’évolution des styles au cours des siècles et des espaces.

Encore un petit coup d’écoliers en visite, et on va déjeuner, on laisse derrière nous cette colline, ses temples, son mélange d’harmonie et d’agitation. Les architectures éparses de siècles de puissance et de croyance vont continuer à recevoir ces mille et une visites, les daims sacrés posent leur regard sur les sacs des visiteurs, à l’affût d’un gâteau ou d’un papier, le Bouddha médecin sera encore assailli de demandes de guérison. Le seul véritable mal, selon le bouddhisme, est l’ignorance. Le bouddhisme a été une importation, à la fois chinoise et coréenne, qui a apporté l’écriture dans l’archipel.

Nara est restée capitale fixe de l’empire entre 710 et 784. La ville est tout à fait intéressante, avec cette répartition tacite du bouddhisme dans la plaine et les cultes shintoïstes (et les syncrétismes nés au fil des siècles) laissés dans la montagne, à laquelle toutefois, le bouddhisme a grignoté quelques espaces.

Je suppose - cela s’affirmera au cous du voyage - que les bâtiments sur la colline sont autant l’inscription de l’histoire dans l’espace, que l’adaptation à la topographie et à la géomancie du lieu.

Puis, au cours du VIIIe siècle, voulant s’éloigner de l’influence du clergé bouddhiste au sein du gouvernement impérial, l’Empereur prit la décision de déplacer la capitale depuis Nara (qui s’appelait Heijo-kyo) vers une ville plus éloignée de cette influence, à Kyôto.

On déjeune en une heure à peine dans un petit restaurant à touristes, en compagnie de Christiane et Yves, très gentils, conversation facile, ils habitent les environs de Paris. Alain et Yves mangent un curry, Christiane et moi du riz sauté au poulet, bière ; échange des fantasmes masculins de ces messieurs sur les femmes japonaises, nous ricanons, pas de café, on ne traîne pas, on a rendez-vous pour aller au Musée national de Nara, un endroit sans photo.

Il est plus de deux heures, course et piétinement. Je suis déjà à moitié en veilleuse et nous ne sommes qu’à la mi-journée. Ou je vieillis abusivement, ou nous sommes dans un camp de travail ambulant.

Au Musée, je remarque pourtant la splendide statue de Kannon (pas de cartes postales, pas droit aux photos), entité très proche de la Guanyin chinoise, forme féminine du Bouddha, mêlant un aspect compassionnel, un peu magique, qu’on a déjà rencontrée ce matin et qu’on verra par la suite en de nombreux sanctuaires.

Dans les vitrines du musée, il me semble que les représentations des personnages du bouddhisme sont très indiens, plus indiens qu’en Chine. Quelques masques de théâtre, assez laids mais célèbres, et aussi maints objets que je ne vois guère, à l’exception des bronzes chinois de l’époque Wei qui me réveillent : c’est au pas de course, et presque en fraude, que nous allons avec Yves les voir à l’étage.

La boutique du Musée est pleine d’objets de très bon goût et de belle qualité, et les toilettes y sont élégantes, tapissées en bois de chaude couleur, et pourvues de divers automatismes, la cafétéria semble accueillante. Mais il faut toujours courir.

Toujours galopant - je ne peux même pas prendre le temps de photographier, dans la lumière qui descend, le bâtiment occidental classique XIXe siècle du Musée - , nous entrons dans la cour d’un dernier temple, le Kofuku-ji selon la feuille de programme : tout l’intérêt, en fait, est dans la décoration des salles, mais on n’entre pas, et nous rentrons à pied à l’hôtel en marchant vingt bonne minutes dans une longue rue piétonne bordée de nombreux magasins.

Le groupe suit docilement. Pas question de s’arrêter dans les petites boutiques qui regorgent de japonaiseries, histoire humer un peu l’espace il faut être à l’heure pile à l’hôtel pour prendre le bus privé qui nous emmène à Kyôto, dans la nuit qui tombe.

17 heures. Notre car roule maintenant dans une demi-campagne qui s’assombrit et s’amenuise assez vite, champs de légumes, sous un mince croissant de lune, vers les faubourgs et la ville de Kyôto, la capitale qui a succédé à Nara, et l’est restée officiellement jusqu’en 1868, même si le pouvoir détenu par le clan des Tokugawa, en leur qualité de « maire du palais .

Kyôto. Grosse ville. Riche de centaines d’œuvres classées au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est là que l’Empereur réside à partir de 784. Le pouvoir réel est confié au Shogun : en 1603, le clan Tokugawa fournit la longue lignée de ces sortes de « maires du palais » qui ont monopolisé le pouvoir de fait pendant trois siècles et demi », à partir d’Edo (Tokyo) leur ville. Nous rencontrerons souvent les traces des Tokugawa, notamment à Nikko, dans huit jours.

Notre hôtel est une grande bâtisse de style sévère, le Righa Hôtel, en briques un peu sombre, d’aspect un peu soviétique à l’extérieur : il se révèle très bien, avec des Japonais aimables et efficaces, les chambres sont confortables, les toilettes ont leur petit tableau de bord. On pose les valises, pour 4 nuits. Installation, changer de l’argent, partir dîner tous les deux. Plus de groupe, plus de XY.

Nous découvrons que l’hôtel dessert, par une navette gratuite et fréquente, la gare centrale et son énorme centre commercial, ses innombrables restaurants. La gare a été construite par un architecte connu, Hara Koji. Inaugurée en 1997, elle est brillante, flambante, immense, perspective de verre et d’acier en réseau, escaliers roulants, panneaux, portillons, elle est le cœur de la ville, un monde. Nous nous y promenons. Elle est le siège de plusieurs compagnies privées de chemin de fer, dont la puissante compagnie JR (clin d’œil à Dallas !), dont les initiales (Japanese Railways) flèchent les espaces.

À cette heure-ci (sept heures du soir), la gare ne grouille pas trop, la journée de travail est finie, mais elle reste un centre d’attraction, par ses magasins et ses restaurants. Nous parcourons les innombrables boutiques et galeries et Alain découvre très vite un « bar à sushis », qui nous séduit : c’est un restaurant comme on en voit au cinéma. J’en avais vu, sans oser y entrer il y a dix ans à Tokyo : c’est une salle occupée par un bar rectangulaire, avec des redents : dans l’espace laissé libre au milieu du rectangle, des cuisiniers tout en blanc, debout devant des petits étals, sous lesquels se trouvent des frigos, préparent sans relâche des sushis les plus variés, et posent les soucoupes chargées sur un petit train qui parcourt la table, présentant ainsi, sans arrêt et en marche, les petites assiettes à chaque convive. Un Japonais nous explique en anglais, fort gentiment, comment procéder, on saisit tout simplement l’assiette qui vous plaît. Il essaie même un peu de français, il a vécu quelque temps en France, à Longjumeau ! Grâce à lui, nous pouvons passer à l’action, commander la bière, et choisir les soucoupes au fur et à mesure qu’elles défilent devant nous, terriblement tentantes : chacune est au même prix, mais le nombre des sushis par assiette varie, en fonction du prix du poisson, deux sushis pour les plus coûteux, et quatre pour les moins chers ou ceux fourrés ou bardés d’algues et de légumes. Au fur et à mesure, on empile les assiettes vides qui détermineront la note à payer. Nous sommes les deux seuls occidentaux.

Il y a beaucoup de gens, devant qui les assiettes s’empilent dix ou plus, ils boivent du thé vert, de la bière ; un soir où nous y sommes retournés, il s’y buvait pas mal de petits verres d’alcool, en « gan-bei », cul sec comme en Chine ! Les gestes des cuisiniers, au milieu de l’espace de consommation, sont merveilleux de rapidité et de précision pour découper, farcir, barder, recouvrir les petits tas de riz ovales qui forment la base solide du sushi. Je les regarderais la nuit durant.

D’avoir osé l’expérience du bar à sushis, nous nous sommes sentis fiers. Un pays, ça se connaît beaucoup par l’estomac, ce qu’on met dedans et là où on mange ! C’est pourquoi je regrette tant de n’avoir jamais pu prendre le temps de déjeuner dans des petits restaurants, c’était toujours des sandwiches, ou des boîtes de nouilles, aux meilleurs jours, sauf à Ise. Si bien qu’à la fin, nous rêvions de saucisses de Francfort. Quand je pense au plaisir des voyages en Chine avec La Maison de La Chine. Le lendemain, lorsque nous avons dit à XY que nous avions dîné là, elle était soufflée ! Je ne suis pas sûre qu’elle y soit jamais allée. Elle est si peu intégrée à ce pays, dont elle semble comprendre si peu les usages, et dont elle ne parle pas un mot.

Demain pour la journée, la feuille de route comporte je ne sais combien de temples… et démarre de manière à arriver au premier temple avant l’ouverture à 7 heures. Nous aurons un bus particulier au lieu de crapahuter dans les transports de ville, une des particularités de l’agence. Luxe ? Non, efficacité, on pourra en « faire plus ».

Kyôto, samedi 21 octobre 2012

Rendez-vous au pied de l’hôtel, à 6 h.15, après un petit déjeuner dont je grignote sans beaucoup de plaisir les éléments japonais du buffet - petits légumes frisés et confits dans du vinaigre, fruits au sirop sans goût, poisson frit et tranchettes de saumon sauté -, heureusement additionnés d’éléments occidentaux, des œufs brouillés trop farineux, des saucisses ou du bacon. Rien à voir avec le délice des petits déjeuners à la chinoise, avec la multitude des brioches et des raviolis fourrés, des soupes de riz, de languettes d’estomac de porc, du poulet sauté, omelettes aux tomates, etc. Je me cale bien l’estomac avant de monter dans le bus privé, et en route pour les 7 « hauts lieux ».

 1er arrêt. Temple du Ryoan-ji, domaine de la secte zen la plus austère et dépouillée. L’avantage de démarrer d’aussi bonne heure est que nous arrivons pile à l’ouverture du parc, le bassin de lotus est silencieux, nous sommes les premiers à gravie les allées sous les arbres frais et brillants dans le soleil, à flanc de colline, qui conduisent aux différents éléments architecturaux du jardin, dont le fameux jardin sec et ses quatorze ensembles de rochers disposés dans l’espace de gravier ratissé, cerné d’un côté par une coursive de bois, et sur les trois autres, par les murs crépis, harmonie de beige, de gris, espace clos pour y méditer. C’est-à-dire vider son esprit, ne pas le remplir. Le remplissage, si je puis dire, se fera par le vide.

Bon, là, pas question de rester, seule, devant l’espace et de faire l’expérience. Je dois avancer vite le long des coursives de bois du temple, XY nous dit que les quinze ensembles de rochers sont invisibles d’un seul coup d’oeil, qu’on n’en voit toujours que quatorze au plus, (ou 14 et 13, je ne sais plus). Avec mes rétines qui gondolent et bougent tout le temps, j’en vois aisément quinze… voire davantage ou beaucoup moins. Cela ne doit pas vouloir dire que j’ai atteint l’illumination. Photographes en action : certaines personnes du groupe se distinguent par leurs beaux appareils, et rapporteront sûrement des photos superbes ; je remarque qu’ils ont l’art de se poser dans le bon angle.

Malgré les conditions peu favorables d’un groupe pour la méditation, je peux quand même penser à la vie profonde et monotone des moines, sans accident qu’un cri d’oiseau ou un souffle de vent, une feuille qui tomberait ou une averse qui dérangerait les coups de râteau. Une petite bonne femme du groupe bavarde sans arrêt. Tuant. Je ramasse quelques feuilles tombées, dorées, ou jaune acide. La mousse minuscule et serrée, cultivée, est brillante de gouttes d’eau. Jardiniers silencieux un peu partout, coupant une branche ici, une herbe là. Minutie.

On retrouve le car dans le parking, maintenant rempli, et nous roulons vers le nord de Kyôto dans la circulation dense du matin (les Japonais se lèvent tôt, c’est comme en Chine).

 2e arrêt. Le parking est bien plus grand et carrément bourré de cars : c’est le jardin et le temple du Pavillon d’or ! L’un des plus célèbres au Japon. La foule immense d’écoliers, comme hier à Nara en dix fois plus important, fait des photos de groupe à tour de rôle devant le temple, XY double tout le monde, et nous arrivons devant cet édifice élégant mais un peu trop fraîchement redoré. Il est au bord d’un petit lac aux eaux vertes. Ce n’est pas un temple, c’est un pavillon d’habitation. Il a brûlé plusieurs fois. Au-delà, le jardin s’enfonce, très grand, très bien soigné, où l’on s’élève par des marches de pierre. Ce serait charmant sans personne.

On se promène dans l’ensemble du parc. Un plaisir nouveau, inconnu devant la nature si faussement libre et bien peignée. Donc, dès ce matin-là, je me sens envahie par le traitement de la végétation, son ordre harmonieux, le lourd et le léger des feuillages ou des aiguilles, l’utilisation des tons de vert, vert-bleu, vert-jaune, vert acide, vert noir, quelques éléments rouges de l’automne, j’admire les jardins de mousse, qui semblent si doux et velouté avec des milliers de poils minuscules qui grandissent au dessus du tapis soigneusement balayé par les jardiniers, à l’ombre des arbres admirablement taillés de manière à construire des sculptures et des édifices de rapports de tons et de volume, bref, ce qui doit, être l’ « art des jardins » japonais : montrer une grâce parfaite et simple qui est en fait constamment maîtrisée et entretenue.

Des bâtiments, petits édifices, petits pavillons, apparaissent au gré des allées. Mariage de l’architecture de bois, de pierre, de torchis sans doute aussi, et de l’architecture végétale. Cela doit plonger ses racines dans le culte et le contact intime de la nature cultivé par le shinto. Les kamis - esprits de la nature - naissent, vivent et meurent dans les bois. Les humains ne doivent pas partager ces bois avec eux. Aussi, les enceintes où se disposent les éléments variés sont-ils toujours signalés par le tori, la porte, où s’ouvre la demeure des kamis qui ont la grâce de nous accueillir, et les marches conduisent au sanctuaire principal.

Mais là s’arrêtent les généralités. Chaque temple est un tout qui ne ressemble pas à son voisin. Pas de modèle. Juste la volonté de s’inscrire dans l’espace, en hommage aux kamis ou à Bouddha. On dispose comme on veut, selon les possibilités, les vérandas, les coursives, les fontaines de purifications, les bâtiments d’administration où à présent, des moines impassibles tamponnent, moyennant trois euros, le billet d’entrée de l’espace sacré pour le transformer en souvenir, en preuve.

Après les réformes de l’ère Meiji, le gouvernement a ordonné la séparation forcée des temples et des sanctuaires, ceci dans un esprit nationaliste, visant à écarter l’influence continentale coréenne et chinoise. Le lien entre les deux religions a été officiellement rompu tout en persistant dans la pratique à présent.

La feuille de route dit qu’il y a deux mille temples dans Kyôto. On vient d’en voir deux de manière rapide, incomplète, un peu frustrante naturellement car d’une part les jardins diffusent un charme entêtant que j’aimerais goûter un peu plus et d’autre part, ils me font déjà problème, car je ne les comprend pas : toutefois l’idée née à Nara prend corps, il n’y a pas de disposition canonique de l’espace sacré. En tout cas, pas lisible. Pas de clé standard pour l’espace religieux qui sera notre pain quotidien. Une liberté étroitement surveillée/

J’en retiens l’art végétal, que désormais je vais guetter, voir si les traits qui semblent le composer se renouvellent, en revanche, une confusion s’installe dans les bâtiments, mélange, ressemblance ou dissemblance, liberté ou contrainte la confusion ne cessera qu’au bout du voyage, en rentrant ici et en alignant mes éléments d’images et mes bribes de questionnements.

 3e arrêt. Peu importe, cette fois, nous sommes en route pour voir une autre sorte d’architecture, civile, le Château Nijo, autrement dit le palais impérial du temps où Kyôto était capitale, jusqu’en 1868.

Dans cet espace, l’un des plus beaux de Kyôto à mes yeux, éclate une inepte bagarre politique, à propos de mai 1968, date évoquée incidemment par Tom ; comme dans un conte de fées où des êtres anodins se transforment en dragons agressifs, voici Odile puis Jean qui s’écrient en s’adressant à moi : « Ah 68, parlons-en, pour ce que ça a donné, la merde que ça a apportée, ce désordre, la France est par terre », etc. Je ne vais pas donner dans leurs discours débiles, ni acquiescer ni me taire, je suis une vieille soixante-huitarde, ils continuent à vociférer leur discours anti-68, grotesque et répétitif et j’essaie de couper court : « Moi, je me suis beaucoup amusée en 68, mais bon, basta, on ne va pas se disputer pour ça, ici, à l’autre bout du monde, dans ce lieu splendide, c’est tellement bête ! ». Les deux autres s’insurgent : « Quoi, vous refusez la discussion ! » et moi « Oui, voilà, je refuse ! Ça fait 40 ans que tout cela est fini, alors je m’en fous, pensez ce que vous voulez, et moi, de même ». Je m’éloigne de ces deux voyageurs hargneux et de leurs criailleries, incongrues dans cet espace calme et majestueux.

XY nous a rabattus vers l’entrée du palais. Comme pour les temples, nous devons laisser nos chaussures dans des cases impérativement disposées à l’entrée, et où il y a un cérémonial à exécuter, pour ne pas amener de poussière sous ses pieds. Sortir de ses chaussures n’est rien, les remettre, sans siège, c’est une autre affaire.

Je me trouve dans ces salles historiques, dont les cloisons coulissantes sont ornées de peintures magnifiques, délicates, figuratives ou presque abstraites, oiseaux, nuages, espace flous et subtils, protégés par une distance marquée par une balustrade, le long de laquelle défilent les visiteurs en rang serrés, touristes japonais ou étrangers qui passent comme le temps. Les empereurs y ont somnolé longtemps à l’abri du monde, je sens aujourd’hui la lourde présence de l’Histoire au Japon.

Les jours s’en vont, les peintures demeurent, il y a beaucoup de pièces et de salles de réception, où nous défilons en chaussettes. C’est ici que le quinzième Shogun du clan Tokugawa fut contraint de rassembler les daïmios, (seigneurs féodaux) en octobre 1867 et de déclarer que la souveraineté revenait à l’empereur, mettant fin au shogunat, à 270 années de règne militaire des Tokugawa. La scène est reconstituée dans la pièce où elle a eu lieu. Des mannequins à leur image sont assis sur les tatamis. Cet événement, capital dans l’histoire du Japon, a permis l’entrée dans la modernité de l’ère Meiji, et fut suivi de nombreuses intrigues, complots et batailles avant que le shôgun accepte de rendre vraiment la main au nouvel empereur, l’année suivante, en 1868.

Je me rappelle M. Brelot, le prof d’histoire quand j’étais au lycée, en philo (on ne disait pas terminale), il déambulait devant la chaire, sans jamais nous regarder, en nous dictant son cours si clair, si percutant, sur le Japon, l’entrée brutale et voulue dans le modernisme, le bond de la société féodale et guerrière, clanique, vers une industrie à marche forcée, triomphante, conquérante, qui devait mener en 1903-1904 à la guerre russo-japonaise, puis la longue guerre sino-japonaise, les évènements de 1931 et 1937 que je retrouverais plus tard en visionnant à Coblence les actualités allemandes, la Deuxième guerre mondiale, les massacres de Nankin, les bombardements bactériologiques, la conquête du Mandchoukuo ; grâce aux évocations de M. Brelot, les Japonais arrivaient avec leur bandeau blanc, kamikaze, bombardaient et détruisaient Pearl Harbor, et disséminaient la guerre dans le Pacifique. Dans la salle de classe de Lons-le-Saunier, nous en étions tout hors d’haleine.

Les salles sont si belles, si simples dans ce château Nijo.

En sortant, je photographie un bout du jardin, on repart, j’entends XY dire qu’il n’y a rien d’intéressant dans l’enceinte immense, gardée des douves superbes. Vu ce que j’entrevois, cette affirmation me paraît suspecte, mais bon, c’est ça ou rien, et mieux vaut ça que rien !

Tout de même, on n’a pas assez de temps libre dans les visites. Les rendez-vous au car sont soit immédiats, soit, au mieux dix minutes plus tard, en fait à peine le temps d’aller aux toilettes. Remonter dans le car, reprendre sa place, boucler la ceinture, regarder par la vitre la circulation et les immeubles, et nous voilà en route pour le quatrième ensemble de visites, le Pavillon d’argent et le Chemin des philosophes, dûment répertoriés dans le Guide bleu et autres bibles. Si je ne me trompe pas, nous retournons vers les collines du nord et le quartier du Pavillon d’Or. Un plan de Kyôto serait utile.

 4e arrêt. Ça commence à fatiguer, il est une heure de l’après midi. Un escalier nous mène du parking vers le Chemin des philosophes, dont le nom m’évoque Heidelberg : il doit être joli au printemps car il est planté de cerisiers. Ici, à l’automne, il n’offre qu’un sentier entre deux bandes d’herbe qui longe une rue tranquille à droite, et à gauche un petit ruisseau. C’est à deux pas du Pavillon d’argent. On va déjeuner, en une heure à peine, certains entrent manger un plat de nouilles ou de riz dans de petits restaurants pour touristes ; nous achetons des brochettes de poisson frit que nous allons manger sur un banc du Chemin des Philosophes. La rue est bordée d’ateliers et de boutiques de calligraphie et d’objets genre intello ; de l’autre côté du petit ruisseau que borde le sentier, un Japonais a installé au soleil au pied de sa maison atelier - qu’on pourrait visiter si on avait le temps - sa collection d’ours en peluche dans de petits fauteuils.

Nous prenons la rue en pente qui mène au Pavillon, et nous mangeons une glace au miel délicieuse, dans une petite boutique. Les Japonais semblent adorer les glaces, et on voit partout des silhouettes de cornets surmontés de crème stylisés sur les trottoirs. Les deux jeunes femmes qui tiennent la boutique nous offrent à boire des verres minuscules remplis d’une eau aromatisée aux fruits. Comme tous les gens à qui nous aurons affaire, elles sont très souriantes, avec beaucoup de gentillesse gracieuse. Les glaces sont énormes, très crémeuses, et sentent le miel de manière excellente. Ils font aussi des glaces au sésame, vraiment délicieuses.

Le Pavillon d’argent n’a jamais été pas recouvert d’argent, comme il était prévu. Il est en bois sombre rougeâtre, il se campe sur le flanc d’une colline verte qui domine un peu la ville et possède des jardins de pierre et de graviers sur de grandes surfaces, beaucoup de petits pavillons et des fontaines. Pas mal de touristes japonais, mais bien moins qu’au Pavillon d’or. Un lieu agréable.

Dans le jardin, la pente est raide comme dirait Raffarin, des rochers, des sentiers presque alpestres permettent de circuler dans une somptueuse végétation avec de petits lacs. Une fois encore, trop peu de temps, il faudrait y passer l’après-midi, prendre beaucoup de photos pour tenter de comprendre la répartition des pavillons, mais est-elle « à comprendre » ? Peut-être simplement la fraîcheur et les différents feuillages à apprécier. On peut se promener, l’œil sur la montre, Carmen et José (avec leurs prénoms à la Bizet) s’apprêtent à monter plus haut vers les rochers, mais, pas le temps.

Dix minutes de liberté, toutefois, en redescendant la rue pour regagner le parking ! J’achète un T. shirt pour Jacques, avec la tête d’un type que je prends pour Lénine mais qui est seulement une réclame de café.

Notre bus a déjà bien parcouru Kyôto, mais il repart dans le centre, je regarde les maisons, les immeubles, les panneaux bleus qui indiquent les quartiers et les flèches des directions, les traits larges et blancs qui guident la circulation sur le sol, les trottoirs impeccables, les vitres toujours brillantes, personne ne fume dans la rue, beaucoup de soleil, les Japonaises circulent sous des parapluies pour éviter de bronzer. Les voitures ont toutes l’air de sortir de l’usine.

 5e arrêt devant un très grand temple, le Heian Jingu, l’air assez neuf : en effet, il a été bâti en 1895, sur le modèle du palais impérial, pour servir de cadre à une exposition industrielle qui n’eut pas lieu là, finalement et donc affecté à la religion shintoïste devenue religion d’état (depuis 1868). Je le trouve assez laid, l’air toc. Il est tout peint en rouge orange, je vois sur les photos qu’il a les toits verts, ce que je n’avais pas remarqué. Il comprend trois éléments sur trois côtés d’une immense cour, où se trouvent de petits groupes, soit des parents endimanchés en train de faire un genre de « présentation au temple », soit des mariés. C’est là qu’aboutissent les défilés traditionnels, les matsuri, (nous verrons l’un d’eux lundi), et sans doute des cérémonies familiales. XY galope, il y a des jardins et un lac que je vois sur internet à Paris, et que je suis sûre de pas avoir vus.

L’heure avance, la lumière du jour change un peu vers 4 heures, dans une heure, il fera presque nuit, et on a encore deux temples et le quartier Gion à voir. De plus XY vient d’annoncer que, dans le vieux quartier, il y aurait moyen de voir un spectacle pour touristes, au prix de 30 ou 50 euros je crois, avec de petites pièces traditionnelles, genre farces ou fables populaires avec sous titres anglais. J’entends surtout que, deux temples plus tard, nous aurons le choix : soit promenade à pied dans le vieux quartier, avec, en prime, des geishas à voir dans les rues, puis dîner et spectacles ; soit profiter du car pour rentrer à l’hôtel.

Mon choix est arrêté tacitement : je rentrerai. Décidément, ce rythme ne me plaît pas. Il me contrarie.

Adieu Heian Jingu, encore un coup de bus, rues, feux rouges, voitures, Kyôto toujours avec ses rues à angles droits, ses grands immeubles et ses petites maisons, dans le fouillis des fils électriques.

 Du 6e arrêt, le grand temple du Sansujendo (XIIe siècle), je ne conserve qu’une photo et peu de souvenir de l’enceinte générale. Une grande halle en bois un peu triste. Un grand toit. Bouddhiste. Se déchausser. Entrer dans le bâtiment principal, défiler en chaussettes, à la queue leu leu.

Et soudain, je suis devant quelque chose de magnifique : les mille et une statues de Kannon, dorées, surmontées de leur coiffures et couronnes ouvragées et ornées de filigrane, campent silencieusement dans la salle. Défense de photographier. Leur majesté et leur tranquillité, j’allais dire leur capacité d’éternité, arrivent à vaincre la foule des touristes en chaussettes qui se faufilent devant la balustrade à des rythmes différents, les mômes japonais pressés avec leurs casquettes distinctives, des Américaines qui se font des commentaires à mi voix, des Allemands avec un bébé, notre groupe éparpillé, Odile qui essaie d’entamer une conversation sur les vertus de ses années de pension quand elle était petite, XY qui agite son chapeau de camouflage en faisant un commentaire, à voix basse, assez discrète.

Ressortir, se rechausser, repartir. Quant au reste de l’espace sacré, aux autre bâtiments ? Je ne sais pas du tout. Mais j’ai eu le temps de retrouver l’austérité du Horyu-ji, le premier temple vu à Ikaruga. Ici, il y a peu de place, apparemment pour le shintoïsme, voire pas de place du tout.

Bus, circulation plus chargée, l’heure avance, le soleil baisse beaucoup, c’est le début du crépuscule avec une très belle lumière : l’instant merveilleux du choix est arrivé : qui veut rentrer à l’hôtel avec le bus, après la visite du prochain temple, je lève la main, et à l’avant du car, la main de José se lève aussi. Les autres sont décidément avides et infatigables, même Christiane et son arthrose : ils viennent tous de s’inscrire, pour dîner ensemble dans le quartier de Gion et aller au spectacle composite de petites pièces folkloriques comiques, faites pour les touristes, avec sous titres en anglais.

 7e visite : même topo que précédemment, le bus est dans un parking au pied d’une colline escarpée, une foule se précipite continûment dans les escaliers et les rues en pente et en lacets qui montent vers un grand temple. Je cherche à ne pas perdre José, qui doit redescendre avec moi et retrouver le car à 5 heures et demie. Les parkings sont très bien organisés, les bus se rangent en arrivant au fond, et ensuite, pendant qu’on n’est pas là, ils progressent régulièrement, gagnant une place à chaque départ de l’un de leurs confrères, de telle manière qu’à l’heure exacte indiquée pour le RV, ils se trouvent en tête de leur file près de la sortie : ainsi, aucun embouteillage, aucune manœuvre, les bus sortent régulièrement du parking comme le dentifrice d’un tube. On sent pourquoi tout est calculé, pas question de perde une minute, ce serait la honte pour le chauffeur et le groupe qui retarderait et embouteillerait ainsi les parkings géants du tourisme. Pas question non plus de repérer l’emplacement du car, il faut noter son numéro et savoir qu’on ne le trouvera pas là où on l’a laissé mais à l’opposé car il aura progressé continûment. Cela fonctionne comme un trottoir roulant. Admirable et un peu effrayant, comme toute organisation trop parfaite. Car cette perfection fonctionnerait quel que soit le but : se faire enregistrer, se faire vacciner, se marier, se faire tuer, tout est possible.

Ce temple, appelé Kiyomizu-dera, est en fait très intéressant, bâti en surplomb, avec des parties assez simples, et des bâtiments annexes, plutôt ornés, presque chargés, à connotations shintoïstes. Je regrette avoir été vraiment HS. Le parc, en très forte pente, est plus encombré de choses et de gens que tous les autres. Il date de la fin du IXe siècle, mais il a été reconstruit au XVIIe, dans la période ornementée que nous verrons à Nikko, du moins il me semble. Son toit immense, et les chapeaux pointus des bâtiments latéraux ont juste le temps de me frapper avant que je ne tombe en veilleuse définitive.

De véritables hordes de touristes japonais se pressent sur une belle terrasse, qui surplombe un ravin, au fond duquel on peut apercevoir un petit étang, sans aucun doute siège d’un kami important : autrefois, des gens s’y jetaient depuis le temple, dans une sorte d’ordalie. Les arbres amortissaient souvent la chute et le pèlerin était alors sauvé, les divinités et autres kamis étaient avec lui. Le groupe va entamer la descente, le long de la colline sur la gauche, par un chemin qui serpente dans les arbres, immenses et magnifiques. J’ai trouvé sur internet une photos lorsqu’ils sont rouges, vers le début novembre. Le jour où je les vois, les arbres sont encore bien verts et feuillus, dans cette disposition étagée si caractéristique du Japon, et sans doute obtenue par une taille et une plantation très étudiées. Ici, la pente dessine et souligne les étagements. Les contraintes sont invisibles, on n’en voit que les résultats.

Le jour baisse sérieusement : José et moi, nous décidons d’arrêter les frais ici, et de ne pas aller visiter, on ne va pas descendre pour remonter en toute hâte pour aller au car, on en a marre, vraiment. En fait, ce serait très beau s’il n’y avait pas tant de monde, s’il ne faisait pas déjà à moitié nuit, si on n’avait pas vu déjà tant de choses, neuf heure durant, si bien que la saturation atteint, chez moi, et sans doute chez José, tout jeune qu’il est, un stade qui ressemble à de l’écœurement. On décide de redescendre au car, bien avant l’heure prévue. Il est cinq heures et pas cinq heures et demie. On quitte la terrasse, on part à rebrousse-poil de la foule, avec beaucoup de difficulté, José mange « une petite glace » - son accent suisse est si reposant - en redescendant la rue et m’en propose une, mais non, je ne veux plus rien, rien de rien. Le car, juste le car. On le trouve, il n’a pas encore atteint la sortie, puisque nous avons une demi-heure d’avance. D’où manœuvres ! Nous avons dérangé le mécanisme. Mais pas trop, car étant donné l’heure tardive, les cars sont moins nombreux sur le parking. En effet, ils sont tous dans la petite rue, en file indienne, et on met un temps fou à regagner la voie principale qui conduit vers le centre puis vers l’hôtel, en pleine circulation de sortie des bureaux. José et moi, nous faisons la causette, il me dit qu’il est mort de fatigue et en déficit de sommeil. Il ne connaît pas grand chose au bouddhisme et je lui raconte ce que je sais sur la doctrine, et sur la vie du prince Siddharta, au VIe siècle av.J.-C., lorsqu’il prend conscience de la pauvreté, de la vieillesse et du malheur et que naît chez lui la compassion, l’abandon de ses biens pour aller prêcher, etc.

6 heures sont bien sonnées lorsqu’on atteint, enfin, le Righa (ce nom me fait immanquablement penser au Righi et à Tartarin dans les Alpes), onze heures après l’avoir quitté. Je pose mon sac, je mets le kimono gracieusement disposé sur le lit de l’hôtel, je me fais maintes tasses de thé. Qu’on ne me parle plus de temple, de Kannon, d’ôter mes chaussures. Vers sept heures et demie passées, Alain rentre, en pleine forme il a visité le temple, visité le vieux quartier, joli selon lui, et me montre quelques photos prises sur son iPhone ; puis il a quitté le groupe qui cherchait alors un restaurant, avant le spectacle.

Nous descendons prendre la navette de l’hôtel pour retourner dans notre bar à sushi : hélas, il y a une queue gigantesque, dehors, dans la galerie marchande et elle se prolonge dedans, où des gens stationnent sur des banquettes, en attendant que les consommateurs dégagent. Il y a même un petit groupe de touristes tchèques, un Guide du routard à la main. Furieux et affamés, nous nous écroulons dans la pizzeria à côté, manger une margarita à pâte très fine et délicieuse. À neuf heures, on attrape la dernière navette pour rentrer au Righa.

Demain sera un autre jour, RV à la navette à 7 heures 1/4, on part en excursion jusqu’au bord de la mer, en train, la journée sera longue. Trop fatiguée, je dors très mal, mais au moins je ne suis pas debout sur mes pieds avec mon petit sac à dos sur l’épaule, je suis allongée. Je me demande comment je serai dans huit jours à Tokyo.

Ici, revenue à Paris (novembre 2012), en écrivant, je profite de ce moment pour faire le point dans ce qui commence à faire nombre et désordre. Nous voyons depuis trois jours des temples, bouddhistes, shintoïstes ou issus d’un syncrétisme acquis par fusion de traditions, par politique ou par la force du temps. Depuis le VIIe siècle (arrivée du bouddhisme par la Corée), jusqu’en 1868, les deux religions et leurs sanctuaires se sont intimement mêlés ; des bâtiments destinés aux kamis (esprits et voies de la Nature, bases du shintoïsme), particuliers à chaque lieu, étaient érigés dans les enceintes des temples bouddhistes, et à l’inverse, des temples majeurs et avec leurs nombreux bâtiments annexes, bouddhistes, bâtiment de la cloche, sanctuaire de Kannon, étaient inclus dans l’enceinte shintoïste sacrée vouée, elle, à un ou plusieurs kamis.

À Nara, XY aurait pu y faire un cours des plus clairs, et nous faire assimiler une fois pour toutes ce syncrétisme qu’on va retrouver, à Ise, à Miyajima et à Kamakura le dernier jour. Nara est l’idéal-type, l’incarnation du cours d’architecture sacrée. Car les bâtiments de la colline en étaient un exemple parfait et même le beau temple bouddhiste classique du bas, contenant le Grand Bouddha, avec son immense toit à deux étages, n’était pas vraiment « bouddhiquement pur », et possédait, dans son jardin, à côté de la pagode à peine entrevue, un sanctuaire dédié à Hachiman, kami du lieu, (pas vu du tout ).

On visite Kyôto dans la difficulté de savoir où on est, ce qu’on voit, ce qu’on a vu, de classer ce qu’on a photographié, petit pavillon, grande halle, coursives, tour de la cloche (et pourquoi jamais de tour du tambour ?) etc. : l’aspect « salade de temples » est installé, sensible et durable. Il n’est pas dû qu’à l’accumulation un peu folle de 7 visites de ces lieux sacrés enfilés les uns au bout des autres au cours de la première journée de Kyôto.

Ai-je mal écouté les explications de XY à Nara, peut-être a-t-elle dit cela ? À moins que cela ne soit dans ses commentaires et discours dans les trajets de car ? Car il n’y a jamais de temps mort dans l’espace sonore, elle lit des haikus, des bribes du Dit du Gengi, parle de ses bagarres avec les chauffeurs ou les « prestataires de services » intermédiaires japonais de l’agence de voyage. Elle ne chôme jamais. Jamais, je ne peux tout simplement penser. Quant à écrire le soir ou dans le car, impossible, je ne pourrais pas me relire. En tout cas, dix lignes sur la feuille de route auraient suffi pour poser ces jalons. Ne pas donner de « clé culturelle » pour garder la main, est-ce sa politique inconsciente ? Faute de quoi, j’ai pataugé dans la salade, mais en ramassant à mon insu, par imprégnation, les éléments qui me permettent à présent de comprendre ce que j’ai vu sans le comprendre et parfois même sans le voir.

Les Japonais se débrouillent avec l’espace autrement que nous, qui sommes assez maniaques de règles, de fléchages, de numérotation, de plans lisibles, de cartes et de guides Michelin : toponymie historique ou géographique, mémoire sociale, tel se présente notre espace ; on nomme le lieu, les rues, les impasses, les squares, on numérote. Comment un peuple qui vit sans nommer les rues peut-il penser l’espace ? C’est la question que je m’étais posée en 2002 à Tokyo, d’où j’étais revenue avec le sentiment d’avoir été perdue tous les jours, et elle garde toute son actualité, à peine aggravée par ma vue devenue mauvaise. Je n’aurai la réponse vraiment qu’à Paris, en écrivant ces impressions de voyage, et en ramassant aussi des souvenirs de 2002, où je me promenais avec de petits croquis faits par les gens rencontrés. En fait, les indications existent au Japon, mais elles supposent une pré connaissance administrative de l’espace, car on dénomme et numérote par rapport au cadastre, arrondissement, quartier, distance par rapport à la mairie, éventuellement date du bâtiment, le tout en langage codé. Les adresses qu’on écrit sur les enveloppes sont ces numéros de cadastres inutilisés dans la vie courante : attribué dans l’ordre de proximité par rapport à la mairie. Mais aussi par rapport à leur date de construction. Bref, pour le péquin de base, un lot de chiffres incompréhensibles ? Quand on prend un taxi, on ne donne pas une « adresse » mais un repère dans tel ou tel quartier, édifices marquants, grand magasin, éventuellement les stations de métro. Quand le taxi vous a rapproché de ce repère, on se débrouille à pied, ou en indiquant au chauffeur, à droite, 2e à gauche etc.. L’espace est un cadre dépendant en rapport avec le pouvoir, économique, administratif, etc..

Une chose est certaine, l’espace japonais dans les villes me met mal à l’aise. Toute seule, - et déjà en 2002 - je me déplace à pied, lentement, pour bien comprendre le trajet, bien noter les points de repère physiques qui me serviraient si je me perdais, telle couleur, telle enseigne, tel magasin, tel arrêt de bus.

La vitesse et le Japon, pour moi, sont incompatibles : or, dans ce voyage, tout était toujours « vite ». Il me faudrait la lenteur des films tels que La femme de sable (Hiroshi Teshigara, 1964), ou les films d’Ozu, si habiles à montrer combien l’espace est autonome, calme et, finalement, dérangé par les humains. Pas étonnant qu’ils s’y sentent de trop.

Des bribes de connaissances de l’organisation de la politesse japonaise, données tantôt par Christine Condominas, tantôt par quelques lectures de vulgarisation, sont restées dans ma tête.

La précision de l’espace, pour les humains, ne réside pas dans l’organisation des lieux, elle est dans le découpage minutieux des relations sociales, elle est dans les règles de savoir-vivre, dans les règles de langage, puisqu’on n’emploie pas les mêmes tournures selon qu’on s’adresse à un supérieur, à une femme, à un égal, etc. Quelques petites incursions dans Wikipedia aident à comprendre un peu l’espace de la langue et de la politesse, et dont la description me semble étouffante.

Il y a tout un système, une systématique, de la politesse exprimée en termes d’espace, hauteur (des situations de richesse, de déférence ou de hiérarchie), dehors/dedans, à propos de l’appartenance à un groupe social ou même national : uchi (« intérieur », c’est-à-dire les membres de son propre groupe social) contre soto (« extérieur », c’est-à-dire les membres d’un groupe social différent de son propre groupe).

Il est certain que notre groupe doit se repérer de loin comme « soto » avec XY en tête, agitant son vieux chapeau genre camouflage violet et gris pour montrer le chemin, plantant des papiers écrits en caractères latins sous le nez des employés, parlant son anglais de cuisine incompréhensible, nous criant qu’ « ils » ne comprenaient rien, qu’ils allaient la faire se tromper, qu’ils étaient décidément idiots etc.

« La politesse japonaisecomporte concrètement trois dimensions relativement indépendantes : langage de respect ; langage d’humilité ; langage de courtoisie. Chacune de ces trois dimensions possède un certain nombre de nuances, notamment d’intensité.

« La fonction de ces dimensions s’explique facilement au moyen des distinctions exposées plus haut (et qui dessine l’espace social) :

« Le sonkeigo est utilisé pour marquer le respect dû par le locuteur à la personne/au groupe social dont il parle. Cette personne/son groupe social peut n’être autre que l’interlocuteur/son groupe, mais peut tout aussi bien être une personne/un groupe non présent.

« Le kenjōgo est utilisé pour exprimer la relation de hauteur entre deux entités (personnes ou groupes sociaux) constituant le sujet de conversation. Contrairement à ce que le nom pourrait faire croire, le kenjōgo n’est donc pas uniquement utilisé pour parler avec humilité de soi/de son groupe : ce n’est le cas que lorsque qu’il y a identité entre la personne/le groupe social constituant la partie « inférieure » de la relation de hauteur mentionnée dans le sujet de conversation et le locuteur ou son groupe.

« Le teineigo est utilisé pour exprimer de manière directe de la courtoisie à son interlocuteur, et ce quel que soit le sujet de la conversation. »

C’est à la fois du découpage très fin et un sacré carcan.

Et que dire de cette chose merveilleuse :

« Notons la différence subtile entre courtoisie et respect : là ou le respect exprime une différence de hauteur entre deux entités, la courtoisie exprime, elle, une absence de familiarité entre ces deux entités. Alors que l’expression de respect implique en général l’expression de courtoisie, l’inverse n’est pas vrai : il est tout à fait possible de parler courtoisement à quelqu’un sans lui exprimer de respect (le cas typique est celui de deux collègues d’une même entreprise de même niveau hiérarchique et n’étant pas en termes familiers).

« Ainsi, les moyens qu’offre la politesse japonaise permettent (et souvent la situation sociale impose) par exemple :

de parler familièrement à quelqu’un de quelqu’un d’autre avec respect ;
de parler courtoisement à quelqu’un de quelqu’un d’autre sans respect ;
d’exprimer de la courtoisie à son interlocuteur sans lui exprimer de respect (voir plus haut) ;
d’exprimer du respect à son interlocuteur (ce qui implique de lui exprimer de la courtoisie, et le plus souvent d’exprimer de la modestie envers soi-même) ;
d’exprimer (au moyen du langage de respect et du langage de modestie) à son interlocuteur la relation entre deux personnes externes, ce qui peut se faire en parlant familièrement ou courtoisement à son interlocuteur.
Etc.

Pour Edward Sapir, l’une des fonctions essentielles du langage est de constamment déclarer à la société la place qu’on y tient. C’est sans doute plus vrai dans l’espace japonais que partout ailleurs. Car, et ceci s’ajoute aux autres règles, on ne parle pas non plus pareil selon qu’on est homme ou femme. Le mythe de la Japonaise, femme idéale, qui avait surgi dans la conversation machiste, tenue en riant pendant le déjeuner à Nara, entre Yves et Alain, repose aussi en partie sur cette réalité du langage qui la fait soumise, discrète et douce, interrogative et inférieure.

« Des mots différents sont utilisés par les hommes et les femmes selon leur statut, leur âge et d’autres facteurs. Il existe un système complexe de politesse pour tous les locuteurs mais les femmes utilisent généralement des formes plus polies que les hommes. Par exemple, certaines femmes peuvent utiliser la forme honorifique des noms pour montrer leur culture ou leur féminité.

Accablant petit tableau

Femmes

Utilisent des formes polies plus souvent
Utilisent plus de noms interrogatifs
Évitent de ne pas utiliser les titres honorifiques
Utilisent des mots intrinsèquement féminins Utilisent des formes pour adoucir ce qui est dit

Hommes
Utilisent des formes polies moins souvent
Utilisent moins de noms interrogatifs
N’utilisent pas les titres honorifiques plus rapidement
Utilisent des mots intrinsèquement masculins
Utilisent des formes directes plus souvent

Dans les magazines, l’éloge du langage « féminin » est paraît-il fréquent, on y enfonce le clou du sexisme et « la nature » est comme toujours convoquée à la rescousse, on y affirme que « cela sonne particulièrement non naturel et même ridicule pour un homme d’adopter la façon de parler des femmes ». En miroir, une femme ne peut pas paraître « totalement naturelle » si elle évite les formes spécifiques aux femmes. 

L’encadrement et le fléchage, horizontal et vertical, de l’espace social, sont contraignants et puissants. Mais dans la localisation, dans la dénomination de l’espace, on reste dans l’approximation, l’intervention de l’explication orale ou dessinée, un certain flou, une incertitude.

Au Japon, comme d’ailleurs partout en Asie, nous sommes dans un autre monde, s’y mouvoir est un sport de combat avec des règles invisibles, nos propres catégories y sont inopérantes. L’art des jardins crée peut-être entre les plantes ces rapports compliqués, démultipliés et basés sur des règles invisibles et les temples sont les éléments d’un langage inconnu avec les puissances.

Kyôto - Ise - Kyôto, dimanche 22 octobre 2012

Dès sept heures et demie du matin, nous voici à la gare et nous passons, au pas de charge, devant notre bar à sushi, bien fermé, il est tôt.

Nous partons à la campagne, au bord du Pacifique. Nous allons prendre le train pour Toba. Deux heures et demie de trajet. XY a trouvé sans peine le quai, j’admire, car dans le dédale de la gigantesque gare, ce n’est pas évident. Elle a juste un peu crié en français sur l’employé, comme un chien qui aboierait systématiquement pour prendre ses droits, pour intimider, pour que nous passions en groupe devant le guichet. Au Japon, pour être considéré comme un « groupe » et pouvoir passer sans montrer son billet, il faut être trente, or nous sommes treize, d’où les protestations et la hargne de XY à chaque guichet.

Il y a beaucoup d’employés dans les chemins de fer japonais, privés ou non. Au Japon les êtres humains ne sont pas remplacés par des machines, des tourniquets et des écrans tactiles. Ici, il y a toujours un chef, un sous-chef, qui considèrent les activités de leurs subordonnés, casquettes, uniformes, courbettes, et alignements impeccables sur les quais eux-mêmes tellement brillants de propreté qu’on en est saisi.

On est un peu en avance. On a le temps de regarder l’activité de la gare, son état surnaturel de propreté, et le « on mangerait par terre » est ici parfaitement applicable. Le train lui-même est étincelant, et le contrôleur, en entrant dans la rame, salue en s’inclinant assez bas, et lorsqu’il la quitte, il pivote pour nous saluer de même en sortant.

Rouler dans la campagne est délicieux. XY a trimballé avec héroïsme des livres qu’elle distribue pour que nous nous documentions (pour que nous nous tenions bien sages ?).

Je regarde par la fenêtre. Le paysage : on roule dans les plaines cultivées (rizières, légumes) et les collines ou montagnes qui les bordent sont toujours boisées, jamais défrichées. Les kamis ont-ils encore tant de puissance ? Ou les écolos préservent-ils les forêts ? Ou les deux ? En tout cas, par rapport à la Chine, où le moindre espace possible est aménagé en terrasse et en culture, jusqu’à la pointe des montagnes, le contraste est assez saisissant. Le paysage s’élève, on atteint une région de sapins, avec de petites villes aux toits gris, mélange d’architecture traditionnelle avec quelques immeubles moderne aux enseignes colorées, me fait penser au Jura.

La mer Pacifique, comme l’appelait Fénelon dans le récits du Voyage aux Iles fortunées, apparaît dans une échancrure : nous approchons de Toba, qui est un centre de production d’huîtres perlières. Descendre du train. Il est dix heures et demie du matin, un car nous attend pour nous emmener à Ise. Il fait un temps magnifique, plutôt chaud. Nous partons visiter un des temples de la péninsule, qui est elle-même tout entière un espace religieux très chargé.

Toba. Le premier temple visité est le Geku jingu : les bâtiments, variés d’aspect et de fonction, dans les tons de gris et de bois de cèdres, sont éparpillés sur une colline, on y accède par de vastes marches aux grandes dalles grises. Le charme de l’espace agit tout de suite, arbres, eau, tranquillité. Mais on rembarque assez vite, comme toujours.

On arrive dans un petit village situé au pied d’un autre ensemble sacré : maisonnettes dédiées au tourisme, restaurants, boutiques, ce pourrait être laid et encombré comme le Mont Saint-Michel, mais non, il règne une atmosphère charmante, l’architecture de cet ensemble commercial est de bon goût. On a champ libre pour une heure et même un peu plus, avec mission d’avoir mangé avant de se retrouver au pied du tori, porte des prochains temples et du parc national, près de la rivière.

Alain et moi nous nous promenons avec enchantement, nous traînons, chose rarissime, sous le soleil, moi sous mon parapluie mauve ; c’est dimanche, les Japonais sont en tenue d’été et flânent eux aussi, en mangeant des glaces. Les rues sont pavées de gris, sous les avancées de toits de tuiles grises, les restaurants débordent de monde, et nous allons à plus de la moitié du village avant de trouver notre bonheur : un petit restaurant sans touristes étrangers, petites tables de bois clair, avec une énorme théière qui y est posée, et nous en choisissons une qui vient de se libérer. Le serveur, jeune, grand et beau, avec une stature et un visage de héros de cinéma de Kurosawa, foulard blanc serré sur la tête, nous explique qu’il y a un plat unique, une soupe de nouilles avec du bœuf, c’est payable d’avance (autour de 9 euros), et le thé est à volonté.

Délicieuse, la soupe de nouilles est vite servie avec une viande vraiment excellente. Cela a été un des meilleurs repas du séjour (le bar à sushis mis à part, hors concours !). A côté de nous, à la caisse, une charmante Japonaise, très vive, compte ses yens tout en faisant de la retape orale pour l’établissement avec une voix métallique et très sonore, qui nous enchante..

Promenade dans la ville. J’aperçois de belles maisons et un joli temple derrière une grille. Beau dimanche de fin d’été.

Retour au tori à l’heure dite, pétante, on n’attend pas les retardataires, répète XY à tout bout de champ, et on passe le pont au-dessus de la rivière Kiso, cours d’eau sacré.

À l’entrée du parc d’Ise, j’avais marché vers la forêt, vers les bâtiments annexes du grand temple, car la péninsule est tout entière liée à la naissance de la déesse Amaterasu, déesse de la lumière et du soleil, celle-là même dont disaient descendre les empereurs, et que le rond rouge représente sur le drapeau. Son histoire résonne avec toutes les légendes de fondation, un père borgne, avec une épée magique, qui revient des enfers, etc. et la naissance sans mère d’une déesse maîtresse du ciel. Son frère, avec qui elle était en mauvais termes, était le maître de la terre et de la mer. Dans le miroir-symbole de la déesse, qui se trouve dans les temples qui lui sont dédiés, nul n’avait le droit de regarder, sauf le Fils du Soleil.

Nous ne verrons pas le temple principal d’Ise, car, depuis 685 et sur décret de l’empereur Temmu, il est détruit et reconstruit à l’identique tous les vingt ans, symbole du renouveau et de la pérennité. Justement, il est caché dans les voiles de la reconstruction pour être à nouveau présenté, flambant neuf, en 2013. Je crois que le grand prêtre appartient de tradition à la famille impériale. Les cèdres qui servent à l’édifier prospèrent dans la forêt proche d’Ise, et une corporation de charpentiers, héritiers des vieilles traditions bien entretenues, connaissent comme personne les secrets de coupe et de travail du bois.

La promenade, dans le parc national et sacré tout à la fois, est très belle, les sous-bois sont majestueux, les fûts des troncs, immenses.

En passant dans ces espaces à la fois grandioses et paisibles, on est plutôt d’accord avec le shintoïsme, sa majesté simple : il a pourtant été exploité comme berceau des dérives nationalistes de l’ère Meiji. Mais les cèdres, à coup sûr, n’en sont pas responsables, ni l’eau de la rivière. Les hommes sont toujours plus bêtes que les dieux qu’ils s’inventent.

Retour au car, retour vers Toba, pour visiter l’entreprise de perles du culture. Ici, l’entreprise a été fondée par Kokichi Mikomoto, dont la statue guerrière veille à l’entrée de la fabrique, sur une île. Fils d’un petit restaurateur de nouilles à Toba, au moment de l’ouverture presque magique du Japon à l’industrie et au commerce mondial, Kokichi Mikimoto est l’inventeur des perles de culture, technique mise au point dans l’été 1893 ? Il a fait fortune et la région lui doit sa prospérité depuis plusieurs générations. Il a maintenant de nombreux concurrents, en Australie, en Chine et dans les îles du Pacifique. Mais il a eu longtemps le monopole, comme en témoigne le musée, que je parcours et où, dans une grande pénombre, luisent des bijoux royaux ou des objets qui ont fait sa célébrité.

Carmen cherche, dans la boutique, des boucles d’oreille, mais finalement, non, rien ne lui plaît vraiment. Moi moins encore, je sors regarder la « pêcheuse de perles » qui se tient à l’entrée.

En attendant l’heure de la « démonstration » des pêcheuses de perles, je m’assieds, enfin tranquille, sur un petit mur, et je regarde virer la lumière du jour sur l’eau du Pacifique, très bleue, très calme, juste un petit bateau. À 4 heures et quart, nous assistons, depuis un bâtiment de verre en surplomb au-dessus de la mer, à ladite démonstration de pêcheuses de perles, façon 1893. Il y a un commentaire, en français, avec un fond musical, mais je lui substitue intérieurement le « Oui c’est elle, c’est la déesse » de Bizet. Le petit bateau aperçu tout à l’heure a apporté deux jeunes filles costumées, qui vont plonger en apnée avec leur tamis, et remonter des huîtres perlières, sans doute posées là pour le show.

On va terminer la visite d’Ise avec une autre légende, les « rochers mariés », sur la baie d’Ise, au crépuscule. On parcourt à toute vitesse, car la nuit tombe, un immense centre commercial, pour accéder à un sentier goudronné le long des falaises de la baie. Au loin le soleil descend, tout rouge. Miracle des légendes et attrape-nigauds pour touristes qui se déplacent en nombre : deux rochers, un gros et un petit, sont liés par une sorte de cordage. Bon, oui, et alors ? Eh bien, alors il se trouve que le gros rocher est Izanagi, le père d’Amaterasu et le petit, la femme Izanami, décédée prématurément et tragiquement ; sans laquelle, pourtant, il a pu faire naître sa fille puisqu’il l’ a sortie de son œil gauche. Voilà qui est convaincant !

Retour à la petite gare de Toba, salle d’attente impeccable, des gens du groupe achètent des sandwiches pour demain midi. Car on sera à l’heure du déjeuner au défilé.

Une équipe de ramasseurs de sacs-poubelles passe dans la gare, ils tirent le contenu des sacs qui sont en fait déjà pré-triés grâce aux indications écrites ou dessinées sur les sacs, mais deux précautions valent mieux qu’une, car ils sortent en effet une canette d’une poubelle à papier.

Train, voyage en sens inverses mais de nuit, on ne voit plus les charmants paysages de montagne, ni les forêts de l’aller. De petites lumières très calmes dans la nuit. Le chef de gare salue toujours les passagers de la rame à l’entrée et à la sortie. Nous arrivons à la gare de Kyôto, et nous quittons précipitamment le groupe, pour courir au bar à sushi, ouvert et pas trop plein, population plutôt jeune comme d’habitude, purement japonaise.

On choisit bien plus de soucoupes que l’avant-veille. On rentre paresseusement en taxi. Demain, le RV est à 7 heures et demie, peut-être même huit heures ?

Kyôto - Inari - Kyôto, lundi 22 octobre 2012

C’est notre dernier jour à Kyôto.

Officiellement, au programme, trois points : 1/nous assistons au défilé du Jida Matsuri, 2/ on ira en banlieue, à Inari, voir un grand ensemble de temples, 3/ on ira à pied à Uji, pour voir le temple de Byodo-in. Bizarrerie de la mémoire, je ne me souviens pas du 3e point, du moins en ce jour et cette heure-ci. Plus le temps passe et plus je pense qu’on n’y est pas allé.

En revanche, le matin, XY, trouvant sans doute la journée un peu légère, ajoute deux temples au programme, qu’on va visiter à pied, en supplément, soi-disant parce qu’ils sont sur le chemin de la gare – où nous devons prendre le métro - en partant de l’hôtel. Le « détour » a bien fait en tout trois kilomètres à pied au pas de charge. Le temple était beau, il valait sans doute le coup de les visiter. Mais moi, ça me plombe de démarrer aussi vite, et sans savoir combien de temps il faut marcher, en réalité. XY non plus d’ailleurs, car on l’a pris à l’envers et il a fallu en faire tout le tour pour trouver l’entrée qui se trouve à l’est. Les deux temples, Higashi-honganji et Nishi-honganji, représentent les deux branches du bouddhisme Shin après sa scission en 1602. Le disciple préféré du fondateur a lui-même opéré la scission

Ces deux temples se situent de part et d’autre de la gare de Kyôto. Ce sont les maisons mères de l’école Jodo-shinshu, bouddhisme de la Terre pure, en sanscrit la Sukhavati ; ce terme, traduit par « la Terre pure », (domaine ou champ du bouddha Amithaba en Inde, Amida au Japon ) est en soi une source de discussion (cf l’article très détaillé de Jérôme Ducor [1] ) : terre purifiée, terre heureuse, etc. avec toutes les nuances idéologiques ou sectaires que ces importantes variantes peuvent engendrer et développer. La Terre pure n’arrive au Japon qu’à la fin du XIIe siècle, alors qu’elle a été créée en Inde au Ier siècle. Passée par la Chine et le Tibet, et la Corée, elle est donc loin de sa fondation originale. Le nombre de croyants est estimé à dix millions de personnes dans tout le Japon et a des adeptes aux États-Unis et dans le monde entier.. Pour simplifier outrageusement, je dirai que cette secte appartient au Grand Véhicule (chinois, tibétain, japonais) qui se soucie de rendre accessible l’illumination par des pratiques relativement ouvertes aux « fils et filles de famille » c’est-à-dire à tous les laïcs, sans qu’ils appartiennent à un ordre monastique. Il faut réciter le nom d’Amida, dans la foi et le vide de l’esprit : « L’acte d’attention sur le nom du Buddha a pour conséquence qu’au moment de la mort, le Buddha se tient face au pratiquant ; et cette présence permet à ce dernier de trépasser sans entretenir l’une des méprises qui le retiendraient dans le cycle des naissances et des morts, en vertu de quoi il naît finalement en saravathi  [2] » donc en Terre pure, terre purifiée… ( art. cité, p. 392). Cette méthode de la commémoration du bouddha permet d’obtenir, avec l’extinction des désirs, la réalisation de la vacuité. Ducor cite cette phrase traduite d’une source chinoise des doctrines de la Terre pure, que j’aime énormément, dans son abstraction : « c’est le mental qui fabrique le buddha, c’est le mental qui est le buddha » (art cité, p. 397)

Ces deux temples sont établis sur des terrains immenses, en pleine ville, l’un d’eux contient le mausolée du fondateur de la secte au Japon. Leur consacrer chacun en vingt minutes, autrement dire, entrer dans la cour magnifique, se déchausser devant le bâtiment principal, entrer dans celui-ci en faire le tour et ressortir, est une absurdité une fois de plus. Cela me fait penser aux jeux télévisés où des groupes de concurrents à sac à dos, parcourent des régions d’Asie splendides, Chine, Cambodge, Birmanie, etc. sans rien voir et vouloir que d’être le premier à enregistrer leur passage d’un coup de tampon et repartir aussitôt, le « y est » ! on touche le but et on court ailleurs. Ainsi les jardins du 17e siècle du 2e temple ? Pas vus, pas mêmes soupçonnés.

Les bâtiments sont aussi nombreux, ornés, que possible, l’intérieur du premier est tout doré, et contient des peintures superbes.

Ces visites éclair, dans une atmosphère lumineuse, nous ont replacés du côté voulu, à l’ouest de la gare. On retrouve ceux qui avaient eu la flemme de venir, et après avoir à peine effleuré ce monde complexe, et déjà beaucoup marché, on descend dans le métro.

Sur les quais très chargés, peintes au sol, de grosses lignes droites et jaunes permettent d’aligner les voyageurs en queue bien rangée devant chaque porte. On monte en désordre, XY ne sait pas le nom de la station, « La 5e ou la 6e, on n’a qu’à regarder ». La rame est assez pleine, nous ne sommes pas les seuls à aller à la fête. Ceci nous amène près d’une des entrées du Parc Impérial, devenu jardin public, où a lieu chaque 22 octobre le grand défilé, le Jida-matsuri, qui retrace en ordre chronologique remontant, depuis l’ère Meiji jusqu’au temps les plus reculés de la société, l’histoire dans l’archipel, centré autour de Kyôto.

On se promène dans les allées, sous un soleil de feu, pas d’ombre, et, dans l’allée centrale où nos sièges sont réservés, c’est le four solaire. Les pelouses sont bien ombragées d’arbres immenses, près du château qui, lui, est interdit au public, - comme tout ce qui abrite même temporairement la famille impériale, lors de ses séjours à Kyôto. Sur les pelouses, les gens sont assis, c’est une fête nationale, on vient « voir et complimenter l’histoire japonaise ».

Les groupes historiques se forment, moines en blanc, en rouge, soldats des siècles passés, sabres, chevaux, palanquins, tout s’entasse pour ensuite défiler en ordre entre deux haies de quatre rangées de spectateurs etc. Bizarrement, aucun commerce : nul chapeau en vente, ni ombrelles, moins encore de sandwiches, juste des bouteilles d’eau. Or, il est aux environs de 11 heures, et le défilé dure jusqu’à 14 heures. Nous aurions dû acheter, comme XY l’avait recommandé, des sandwiches dès hier. Car ce matin, on a bien vu des boutiques, mais pas le temps de s’arrêter.

Une trompette a retenti, des coups de gong, il faut prendre place, cela va commencer.

Honnêtement, on voit assez mal, car les gens, devant, ont aussi déplié des parapluies ou se lèvent pour prendre des photos. Le joli petit catalogue qu’on nous a donné en guise de programme est très bien illustré, très didactique, sur les différents ensembles qui vont se succéder assez lentement, par moments très statiques, par moments exécutant quelques mouvements et danses en direction du public. Le tout est accompagné sans relâche par un commentaire en anglais trop sonore, envahissant.

Le défilé n’en finit pas. Il fait vraiment très chaud. Au début, nous regardons, on prend quelques photos qui ne rendront rien et, bientôt, les gens du groupe, sauf les enragés photographes nantis de bons téléobjectifs, gagnent les pelouses ombragées, de chaque côté de l’allée et on va s’étendre sous les cèdres, sur l’herbe, adossés ou non aux troncs, en buvant le reste de la bouteille d’eau. Ce n’est pas mal fait mais assez ennuyeux. Les groupes historiques se présentent en remontant les siècles vers les origines, et tous se rendent jusqu’au Heian Jingu, le grand temple shintoïste populaire visité avant-hier, en traversant une partie de la ville, où le public est massé sur les trottoirs.

Tout cela est bien long. Vers 14 heures, c’est fini, la foule s’écoule et nous montons à gauche du palais impérial à la recherche de toilettes. On mangerait bien quelque chose, car il y a un restaurant qui sert des plats assez sympathiques, mais voilà, on n’a pas le temps. J’achète une chose infecte dans un bac à glace, une sorte de sandwich de crème glacée dure et sans goût entre deux épaisseurs qui ressemblent à de la poussière jaune compactée. Je la jette dans une des multiples poubelles, sans trouver exactement de quoi cela relève, papiers, canettes, ou quoi ? Ce lundi, j’en ai un peu marre, de l’ordre japonais. Ce sera d’ailleurs une des moins intéressantes journées du voyage, au total. Et il faut maintenant retourner à la gare, partir en banlieue pour les points officiels 2 et 3 du programme.

A nouveau, marcher vers le métro, cela fait déjà sept heures que nous avons quitté l’hôtel, à nouveau en rang impeccable sur les quais, les portillons, les escaliers roulants, les couloirs, et très loin au-dessus de nous, les perspectives architecturales du toit en réseau genre grille pains géant de cette immense station ferroviaire, vrai cœur et vrai temple de la ville contemporaine, puis la recherche du quai de banlieue de la ligne JR qui nous emmène, dans un petit train vert, vers Inari.

Le voyage n’est pas long dans ce RER japonais aux wagons verts, qui roule à travers la ville et la banlieue. Tout près de la gare d’Inari, un énorme tori rouge orange signale la présence du grand temple shintoïste de Fushima, où les esprits de la fertilité, du saké et du riz, sont honorés.

Alain trouve près de la gare une boutique qui vend des sortes de petits morceaux de poulet frit, délicieux. Il est trois heures et ça fait du bien de se caler quelque chose depuis le petit-déjeuner, fort confortable mais avalé à 7 heures. Nous mangeons aussi une glace, débordante de crème et de tortillons sucrés genre banana split dans une gaufrette excellent et nourrissante. Tant pis si on n’a pas faim pour le dîner traditionnel qui est la dernière attraction de la journée et le seul repas du voyage offert par l’agence de voyages.

Le temple est magnifique, grand, coloré, son espace et ses constructions nombreuses s’étendent haut sur une colline, mais à droite et à gauche, les immeubles d’habitation ont approché jusqu’à l’extrême limite de l’enceinte sacrée, kami contre promoteurs

Nous montons tous dans un immense couloir formé des toris successifs, qui font une perspective orange, comme infinie, avec un sens pour la montée et un autre pour la descente. La lumière descend, et joue sur les tons orangés.

Montée sous les toris jusqu’à à la moitié de la colline, environ, et là, le groupe se scinde : les courageux vont à l’assaut du temple du Renard, les paresseux, dont moi, descendent jusqu’en direction de l’entrée. On s’assied en devisant sur les arthroses qui frappent divers membres du groupe, voltarène contre paracétamol, et divers soupirs s’élèvent contre la fatigue née du rythme endiablé des visites.

A nouveau le RER vert, puis Kyôto et sa gare gigantesque.

Nous revenons à pied en nous arrêtant, en supplément, à la poste pour acheter des timbres, destinés à d’hypothétiques cartes postales… Poste immense, employés discrets, amour des papiers à remplir, il faut cocher ce qu’on veut acheter, queues bien ordonnées pour expédier ses petites affaires au guichet. Monde affable, un peu compliqué et ritualisé, mais efficace.

On rentre à vive allure avec mission d’être à huit heures moins 5 au Ier sous-sol où nous attend le dîner traditionnel. On se change pour des atours limités mais tout de même un peu moins touriste en blouson

Le dîner a lieu dans une petite salle à manger à l’occidentale, avec des tables de 4, on ne fait pas moins facile pour composer un « groupe », - le groupe de se formera jamais, d’ailleurs, faute de repas en commun à cette exception près.

Au plan gastronomique, ce dîner n’est pas une « affaire », j’ai mangé bien mieux dans des restaurants japonais à Paris : beaucoup de petites fritures, de petits légumes au vinaigre, à coup de petits bols et de jolie vaisselle, dans une jolie présentation, mais pas de plaisir ni de découverte. À la fin, on apporte le bol de riz gluant, et par convention, on n’y touche pas, pour signaler qu’on a suffisamment bien mangé. C’est la petite bouteille de saké le meilleur.

Ce sera la dernière nuit à Kyôto, ville dont je garderai un souvenir confus, plein de contraintes et de beautés grappillées, d’arbres stylisés, taillés ou épanouis, de tons doré et de gris et l’admirable Château Nijo.

Attention en faisant les valises, car elles partent seules de leur côté pour Tokyo. Et nous devons composer à part un bagage minimal pour le détour par Hiroshima : dans le mien, j’ai transféré Nono, mon très vieux chien en peluche, que j’ai décidé de ressortir de son fonds de placard pour lui présenter la ville d’Hiroshima.

Nono joue ici le rôle de double ontologique, et sera acteur et témoin de ma rencontre avec ce qui a été l’objet de mes recherches pendant si longtemps, et de ce qui a assuré naguère ma « réputation » de chercheur en France et même au Japon. C’est vrai que ma « carrière », sans que je la prémédite, a été déterminée par une présentation de la mythologie filmique née au sujet de l’ère atomique, que j’avais faite à Bourges dans les années Quatre-Vingt.

Il suffisait assurément que j’y aille, moi, à Hiroshima ; mais j’ai eu envie de ce témoin de peluche, le premier anima que j’ai eu en cadeau, à un an ! C’est dire que ce chien est complètement râpé, il a été raccommodé par ma grand-mère un grand nombre de fois, des pièces en peau de gant un peu partout. Avec ses yeux fixes, en verre brillant à l’iris marron, comme avaient les animaux d’autrefois, il a un regard à la fois un peu triste et profond, méditatif, zen. Il en connaît un rayon. Il va donc à Hiroshima demain, au fond de mon sac à dos rouge.

Nono et moi passerons de la mythologie et de l’imaginaire, à la réalité.

Que de surprises nous attendaient !

Notes

[1Jérôme Ducor, « Les sources de la sukhavati, autour d’une étude récente de G. Fussman  » , in Journal of the International Association of Buddhist Studies Volume 27 • Number 2 • 2004, PDF

[2Autre transcription de sukhavati, selon les sources citées par J. Ducor.


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