Jusqu’au jour où ... 8 Des héros fragiles

Je n’écris pas très souvent ... Les évènements du monde sont assez abjects, je n’ai pas envie d’ajouter mes commentaires sur le présent, depuis la grotesque dévotion à l’égard des « influenceurs » - rien que le mot ! - jusqu’à l’ignoble agression russe en Ukraine, qui nous rapproche chaque jour de la capacité mortifère de la politique russe. L’Europe pour l’instant doit sa survie à Zelensky, je me demande combien de temps les petits intérêts ne l’emporteront pas sur lui.

Les jours d’été, trop lumineux et trop chauds, passent.

Le Tour de France, épopée cycliste, met en scène chaque après-midi sauf le lundi, pendant trois semaines, 160 jeunes gens qui ne ménagent pas leur peine pour que les spectateurs, avec eux, frisent l’infarctus. Courage, ruse, calculs, rivalités entre équipes ou à l’intérieur de celles-ci. Les espaces se succèdent magnifiques ou touchants, pris d’hélicoptère ou au ras des pâquerettes, pentes, paysages, villages, prairies, « zébras » peints sur le bitume, ponts et ronds points, au milieu des commentaires ronronnants ou exaltés, ponctués de formules homériques. Le temps se crispe sur les derniers mètres des étapes. Sourire des vainqueurs provisoires de chaque soir.

En fin de semaine dernière, sur une des chaînes-cinéma du câble, pour la centième fois, on diffusait Le Grand blond avec une chaussure noire ( Yves Robert, 1972). En regardant le générique qui se lit sur un jeu adroit de cartes biseautées, je me suis dit « Cette fois-ci, non, je ne le regarde pas je le connais par cœur, ou alors juste une minute », mais comme à chaque fois je me fais avoir, je tombe dans cette comédie d’espionnage, calibrée et montée au quart de millimètre, 86 minutes de rire, l’incroyable charme de Mireille Darc dans son manteau de panthère ou sa fameuse robe noire, la musique de Vladimir Cosma, le génie de Bernard Blier ou de Jean Carmet, seconds rôles et premiers rôles tous parfaits ; comme toujours j’ai regardé d’un bout à l’autre l’affrontement entre deux services rivaux de la DGSE de l’époque. « Le grand blond avec une chaussure noire, c’est un piège-à-cons, Monsieur » dit l’inspecteur Perrache (Paul Le Person) à Milan (Bernard Blier). Oui, c’est vrai, et j’y tombe à chaque fois entraînée par le violon de Pierre Richard [1]

Hier, les télévisions et radios ont rappelé l’épouvantable rafle du Vel d’Hiv, dont l’anniversaire se rapproche, 16 juillet 1942, témoignages de survivants, documents photographiques, tout est accablant, j’avais d’abord envie de fuir, car l’avenir ce jour-là ouvrait sur les camps d’extermination pour ces familles parisiennes entassées sous la verrière du Vel d’Hiv : Drancy, Beaune-la-Rolande, Pithiviers, Auschwitz, tant de souffrances et de douleurs. Mais non, je leur dois cela, les voir, le écouter, je leur dois mon attention, mon respect et mon empathie : on comprend que notre monde ne se remettra jamais de ces tragédies qui composent l’élimination des juifs d’Europe par les nazis, et, en même temps, que l’horreur et son contraire sont inscrites dans l’humanité .

Notes

[1Par contre, évitez absolument la suite, qui est nulle (Le Retour du Grand blond, 1974).