Laideur du paysage 4 « Atmosphère, atmosphère... »

Retour à Lemberg
© Albin Michel

J’ai fini le magnifique Retour à Lemberg, de Philippe Sands [1], dans une sale atmosphère. C’était dur, invraisemblable, presque irréel, de lire, à travers l’histoire d’individus pris dans cette tragédie, les effroyables massacres de la Solution finale pendant le IIIe Reich, mêlés à la construction des notions du droit international discutées et utilisées au Procès de Nuremberg (crimes contre l’humanité, élaboration de la notion de génocide), entre deux infos d’aujourd’hui.

Avant-hier, les croix gammées dessinées sur le visage de Simone Veil, les arbres dédiés à la mémoire d’Ilan Halimi coupés à Sainte-Geneviève des Bois, sont les toutes récentes preuves accablantes du désordre induit par le mouvement des gilets jaunes, depuis le début duquel je redoute qu’il agrège à divers mécontentements (certains sans aucun doute justifiés) les sentiments les plus répugnants, les plus impardonnables sous couvert d’une « libération de la parole », de la « colère », des « humiliations », et autres termes à la mode. Certains intellos raffolent de ces termes et avalent tout comme s’ils avaient affaire à un rêve de LA révolution. La forme est nouvelle, oui, les idées, moins. C’est tous les jours qu’on les voit grouiller et dominer les revendications, vivaces, haineuses.

La haine des nazis à l’égard des juifs, leur projet de les tuer pour les supprimer entièrement d’Europe (projet en grande partie réalisé), sont admis, réactivés, désirés, par les auteurs des propos, des slogans, des chants, de ceux qui sont parmi les gilets jaunes (Drouet, Chalançon, Nicolle et d’autres moins médiatisés), qui persistent à créer l’atmosphère infecte d’un rite qu’ils déploient le samedi, dans la rue, attaquant les institutions, les bien communs et ceux des individus, et, le reste du temps, on les trouve répandus sur internet ou parfois dans leurs meetings.

« La parole antisémite ne dit rien du mouvement des “gilets jaunes”, mais ne lui est pas non plus étrangère », écrit Delphine Horvilleur [2] , dans Le Monde, du 13 février 2019, et j’approuve ce qu’elle développe : « Tout mouvement de contestation politique est légitime et constitue le fondement même de notre régime démocratique, la possibilité d’être interrogé. Mais quand, chez certains, la contestation du pouvoir s’énonce en des termes de dénonciation d’« élites », de culpabilité des « riches » ou de « complot » des puissants, il convient d’écouter quelle langue est en train de se parler, un langage ancestral qui fut dans l’histoire celui de l’antisémitisme. » [3].

Le paysage que j’avais reproduit dans Laideur du paysage 1 était une construction visible, alarmante et je dirai même effroyable de ce qui se multiplie et se dissémine ouvertement depuis le 17 novembre, dans les rues et sur les réseaux sociaux. L’image, je ne la remets pas ici, elle était dégoûtante, inutile de la multiplier, de leur faire de la propagande.

Gilets jaunes, s’il vous plaît, qui ne participez pas à ces idées ignobles, inqualifiables, vous devriez réagir hautement. Vous attendez quoi pour vous désolidariser ouvertement de ceux qui rêvent des Nuits de cristal et des camps d’extermination ? Vous allez débouler avec eux samedi prochain ?

Notes

[1Retour à Lemberg, Philippe Sands, Albin Michel, 2018.

[2Auteur de Réflexions sur la question antisémite, Grasset, 2018.

[3Delphine Horvilleur, Le Monde, 13 février 2019.