Impressions en sortant de l’expo David Hockney Centre Pompidou jusqu’au 23 octobre 2017

Une œuvre, un artiste et une vision du monde : l’exposition est belle et grande, et, tout au long, j’ai transformé mes souvenirs d’expos antérieures de ce peintre, en voyant ou en revoyant, en vrai, ensemble et en suite chronologique, dans leurs splendides formats et leurs évidentes lumières, les transformations du peintre et de son œuvre.

David Hockney devient très vite David Hockney, il ne tâtonne pas longtemps, ni en matière de formats, très vite grands, ni en matière de de lumière, diffuses ou évidentes, ni en matière de couleurs : claires, voire pastels dans la série des piscines et des couples, puis vives, saturées presque violentes, dans les paysages américains, chaudes (les maisons de brique), parfois plus claires, dans les paysages du Yorkshire.

Les visiteurs stagnaient beaucoup dans la salle des « piscines », ces claires surfaces ; j’ai été frappée du fait que, dans cet ensemble, il peint, finalement, l’absence plus que la présence. C’est autour d’un vide qu’on est absorbé. Étonnement, désir. Plus d’attente que de présences. Un très joli vide, avec des reflets, des scintillements ensorcelants, pris dans des à-plats rectangulaires, lisses et doux ; je voyais (impression purement perso) non pas « une » absent, mais très exactement L’Absence, peut-être même la Disparition, par l’illusion et le stéréotype du réel (le fameux hyperréalisme). Mais jamais le regret, toujours l’éblouissement de l’instant.

Les tableaux avec des couples abordent une autre touche du monde, psychologiquement voisine : la solitude et l’incommunicabilité des êtres. Des humains (éventuellement avec un chat, et souvent avec des fleurs), sont posés l’un à côté de l’autre - homme-homme, homme-femme, vieux-vieux, jeune-jeune -, dans l’illusion de la proximité, chacun porteur de sa propre fermeture, peut-être le secret ou l’absence de son histoire (mais en ont-ils une, et est-ce le propos ?) ; ils portent en tout cas l’histoire de la peinture occidentale, que l’on suit en références évidentes, de la Renaissance à nos jours ; tout cela restera enfermé dans les personnages, dans la beauté et l’harmonie des décors presque vides. L’harmonie du vide est donnée par le tableau tout entier et rend inepte la psychologisation ; cela est très bien ainsi, car la peinture de Hockney condamne du même coup un certain type d’histoire de l’art.

David Hockney, auto portrait 1954

Une salle d’autoportraits m’a servi de transition avec la suite, les tableaux après 1980 (en gros).

A partir de là, je suis « entrée » de cœur dans l’expo, avec les immenses paysages américains « enveloppants », ainsi que David Hockney les nomme, ils éclatent de force , de lumière, évoquent les Fauves, Matisse ; finis les clairs rectangles précédents, le monde se complexifie, se densifie, se tord, prend une immense puissance et digère presque le spectateur (je parle toujours forcément de moi, la peinture est affaire personnelle et même temporellement changeante).

J’ai trouvé un peu ennuyeux, mais curieux, les tableaux composés de polaroïd. Ils m’ont paru ré-attaquer avec une nouvelle technique le problème du vide - travaillé dans les piscines et les couples -, mais en le fragmentant et en le juxtaposant, en le divisant tout en le multipliant.

Les paysages du Yorkshire entament encore une autre approche du monde, où le réalisme devient réel, et non illusoire comme dans les peintures des piscines. La terre, le végétal, les travaux des hommes - mais sans les humains - sont inscrits dans le paysage qu’ils ont formé et délimité. L’espace devient une fenêtre des travaux faits.
Il en va encore différemment dans certains tableaux ; ainsi l’immense route bordée d’arbres, déroulée comme les tableaux chinois en rouleaux, traduit le temps dans l’espace et réciproquement. On retrouve cette vision de la fusion spatio-temporelle dans les travaux sur tablettes-vidéos, celle d’un coin de forêt au cours des quatre saisons par exemple, où réapparaît l’obsession du vide - qui devient ici point de fuite - au fond du paysage, évoluant, tache de lumière blanche qui se rapproche sans jamais se laisser atteindre.

La dernière salle est de toute beauté, dans ses formats, dans ses tons, dans son ouverture à tous les thèmes qui ont jalonné le temps et la peinture de David Hockney et éclatent. Il faut voir les différentes vues de la terrasse bleue de sa maison actuelle à Los Angeles, toujours vide d’humains, mais étrangement vibrante, présente et combien attirante.

La rétrospective de Paris est faite en l’honneur des 80 ans de David Hockney.
« Les rétrospectives, les livres, j’y ai passé bien assez de temps ces dernières années. Le présent m’intéresse bien plus. Le présent, c’est ce que j’ai à faire, les châssis et les toiles qui attendent dans l’atelier à Los Angeles. Il me reste beaucoup à faire. Je veux peindre. Quand je peins, je suis jeune, j’ai 30 ans. Ce n’est qu’entre les tableaux que je pourrais bien avoir 80 ans… J’y vois toujours clair. » (Interview donné au Monde, 22/06/2017)

En sortant, comme toujours quand le temps de l’expo est réussi, je trouve Paris comme découpé et peint par Hockney, avant que je ne récupère - plus prosaïquement - ma propre vision.