Espaces baltes 4. La Lettonie : Rundale

Gregory nous avait présenté l’histoire du château de Rundale, résidence d’été des ducs de Courlande, qui possédaient nombre d’autres demeures que nous ne visiterions pas. J’aurais aimé voir, en entendant Gregory l’évoquer, le palais de Mitau (aujourd’hui Jelgava), où Louis XVIII s’est réfugié par deux fois, ayant demandé protection au tsar Paul Ier. Lors de son premier séjour à Mitau, en 1799, il a fait célébrer le mariage des enfants de ses deux frères, Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, rescapée du Temple, avec son cousin le duc d’Angoulême, fils du futur Charles X.

Rundale, la façade sur le parc
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Rundale, vue partielle de l’entrée du château
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Rundale, tout proche de la frontière, au sud de Bauska, est un énorme palais baroque, régulier, majestueux, classique, peint en jaune pâle pour le bâtiment principal, mais dont l’entrée officielle se compose de bâtiments bas assez trapus, peints en rouge , alourdis de stucs et de moulures, soulignés de blanc, presque démodés par rapport à la date de construction (on en verra de semblables à Tallinn, datant de Pierre le Grand) : cette partie ressemble à des portants d’un immense théâtre, dont les coulisses seraient la campagne et les parkings d’où nous venions ; j’avais acheté un paniers de framboise, vendu sous les arbres des allées par où se déversaient des visiteurs vers ce monde de pierre, éclatant, stupéfiant, limitee « mauvais goût ». Une fois passée l’entrée monumentale, ce grand espace en plein air, on accède au véritable corps de logis du palais ducal.

Rundale, un escalier
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C’est que le château ne s’est pas fait en un jour et son aspect traduit les évolutions des modes, de la politique, de la vie, de l’amour, et la fixité de certains attachements du propriétaire : dans les années 1730, ce propriétaire était Ernst-Johann de Biron (1690-1772), - nom francisé des von Bühren - marié à Benigna von Trotha et amant d’Anna Ivanovna (tsarine de Russie de 1730 à 1740), position de pouvoir sans doute juteuse mais dangereuse. Pour construire son palais d’été, il avait fait appel à Rastrelli, architecte italien à la mode, auteur du Palais d’hiver de Saint-Pétersbourg. À la mort d’Anna en 1740, et à la suite d’un complot raté, Ernt-Johann s’est trouvé exilé en Sibérie et ses appétits de construction stoppés net. Revenu en 1763 grâce à Catherine II - plus de 20 ans après l’ouverture du chantier -, il a retrouvé Rastrelli, lui a demandé de finir son œuvre à Rundale, même si la mode avait changé. Les bâtiments accusent cette évolution du baroque, l’alourdissement et le rocaille étaient nés et avaient passé de mode, mais Rastrelli et Biron ne s’en souciaient pas, ils ont achevé la demeure, conforme à leurs rêves, richement, solennellement, fastueusement baroque.

Les restaurations, achevées en 2014, l’ont rendu tel quel à nos yeux, dans tout son éclat, son accumulation décorative à côté de parties plus classiques. Le XXe siècle l’a à peu près ruiné, entre les retentissements locaux des deux guerres mondiales, la résistance nazie dans la poche de Courlande jusqu’en mai 1945, la résistance des corps francs, les révolutions successives, les occupations soviétiques, tour à tour abandonné ou occupé, devenu école, hôpital, bâtiment militaire, pillé, souillé, complètement esquiné, vidé de ses meubles, il a enfin été repris par le gouvernement de Lettonie lors de l’indépendance de 1990 et transformé en musée.

Le plafond de la salle de bal (détail)
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Nous nous sommes promenés longtemps dans des dizaines de pièces (en tout, 138 recensées), salons, chambres, salles de bal, salles à manger, couloirs immenses, escaliers majestueux, entièrement restaurées, repeintes, refaites, retendues de tissus damassées, remeublées, dans sa luxuriance étonnante, bourré des portraits de ses hôtes successifs.
Car avec la famille de Biron, alliés, connaissances et amis, on tombe sur l’histoire de toute l’Europe et l’histoire de France : Pierre de Biron, (fils de l’entreprenant Ernst-Johann) s’est marié trois fois, et il a eu (ou reconnu), avec sa troisième femme, la charmante Dorothée de Medern, quatre filles que le charme, l’esprit et la beautés ont placées, au moins pour trois d’entre elles, au cœur politique - et mondain - de l’Europe de la période napoléonienne et la Restauration.
C’est ainsi que je me suis trouvée nez à nez avec le buste de la duchesse de Dino, la dernière des quatre filles de Pierre de Biron, devenue par son mariage la gracieuse jeune nièce de Talleyrand, avant d’en devenir aussi la maîtresse et la plus chérie sans doute de toutes ses conquêtes. Elle est la « Circé » qui a ensorcelé le Congrès de Vienne et les capitales européennes où Talleyrand (1754-1838) a continué de présenter et de défendre les intérêts de la France jusqu’au début des années 1830.

Gregory dans une galerie de Rundale
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Gregory avait beaucoup de talent pour raconter toutes ces histoires d’amour et de politique, qui ravivaient les lectures des Souvenirs de la duchesse de Dino, et les Mémoires de Talleyrand, que j’avais faites il y a quelques années, mais auxquelles je n’avais pas du tout pensé en partant pour le pays baltes. Les rencontre inopinées sont toujours les plus vives.

Rundale, au hasard des 138 pièces
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Nous allions sur les beaux parquets, les beaux tapis, devant les miroirs, sous les plafonds et les stucs dorés ou blancs ou crème, avec les poëles de faïence, dans l’éclat de tissus rouge, vert, bleu, rose vif, jaune lourd, dans le piétinement de nombreux touristes, (allemands pour la plupart, je retrouvais le goût des ornements de palais d’Allemagne ou de Russie, en juste un peu plus lourd, un peu plus accentué, cadres d’envies décoratives diverses, dans l’éclat « jex-four » de rénovations toutes récentes des trois pays baltes.

Rundale, poêle blanc
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Un éclat « Jex-four », mais pas raidies au botox, les rénovations sont ici très vivantes, animées par les personnalités hors du commun de leurs anciens occupants, de leurs amours, dont les intérêts et les passions, l’appétit, le désir, les corps, les images, les calculs sans doute, mais surtout la vitalité incroyable, se lisent encore, exubérants, partout.

Rundale, poêle bleu
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Nous nous sommes ensuite répandus dans le parc, qu’on avait admiré depuis les fenêtres, merveilleusement dessiné, avec ses allées en perspectives rayonnantes, on est allé flâner dans la roseraie où l’on a réussi à reconstituer les différentes variétés de rose créées depuis le XVIe siècle, elles croulaient un peu, elles avaient dû être fraîchement ouvertes les deux semaines précédentss, là, ce 16 juillet, elles fanaient un peu, se répandaient par endroits comme un reposoir, étonnante symphonie végétale et chromatique, rose, blanc, rouge, jaune, rosé, pétales simples, pétales multiples, pompons, qui attendait la pluie, les nuages montaient, l’orage a dû éclater après notre départ, dispersant sans doute les mariés du jour qui venaient se faire photographie dans ce décor somptueux.

Un petit espace de la roseraie
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Avant d’arriver à Riga, en fonçant vers l’ouest, bizarrement, le paysage change. La Lettonie, tout en étant couverte de forêt et de champs, n’offrait pas le même visage que la campagne lituanienne, sa voisine du sud : il n’y avait plus de villages groupés dans une aire cultivée, l’habitant dispersé a pris le dessus, comme un trait culturel profondément enraciné, comme une justification de la frontière. On voyait seulement de temps en temps, dans l’espace découvert, une ou deux habitations flanquées d’une grange, et la forêt elle-même semblait comporter davantage de résineux, grands sapins noirs. La Lettonie est peu peuplée, le quart de sa population se trouve concentré à Riga. Les paysans lettons, si durs lors de la crise grecque, sont des gens qui n’ont pas de voisins proches.

Vers le soir, on a passé la Daugava. Et nous sommes entrés, sous la pluie et le ciel gris, dans une grande ville, aux immeubles hauts, très « Europe centrale », qu’on allait visiter le lendemain.

Arrivée à Riga, la Daugava
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Riga, un immeuble pris en roulant
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Post-scriptum

À suivre