Liliom, de Ferenc Molnar Odéon Berthier

Il faut courir voir Liliom, pièce de Ferenc Molnar (1878-1952), au Théâtre de l’Odéon, aux Atelies Berthier dans la mise en scène de Jean Bellorini, et dans l’excellente traduction d’Alexis Moati, Kristina Rády et Stratis Vouyoucas.

Cette pièce écrite en 1909 décrit les situations de quelques individus du Lumpenproletariat de Budapest ; elle résonne si fort avec aujourd’hui, qu’elle en devient une de ces grandes pièces éternelles, qui, de leur époque, savent extraire l’essence de la condition humaine, on pense à Tchekhov, à Shakespeare, tant le regard de Molnar est critique, aigu, fin, émouvant, tout à la fois.

Liliom est une histoire de la précarité et de la pauvreté.
Pauvreté matérielle : les héros de la pièce ont de tout petits emplois précaires ( bonnes, bonimenteur de foire, portier etc.) ou plus d’emploi du tou (ils sont virés).
Un monde bâti comme une foire et un commissariat, un monde où ne peut jouer que deux rôles, le gendarme et le voleur.
Puissance des rêves, pauvreté ou démesure des réponses, boire de la bière, petits bonheurs, grand amour, enfants, suicide, résignation, la situation est intenable et pourtant souvent tenue.

À cette pauvreté matérielle, répond, en parallèle, la pauvreté du langage, les drames surviennent dans des situations où les corps prennent maladroitement le relais d’un langage bloqué. Alors surgissent les coups, les peurs, les pleurs, les attitudes figées dans le refus, la dignité et le mutisme.

Il en va de même au ciel. Un au-delà sans espoir, calqué sur ici. Les flics y règlent les problèmes de manière à ne rien changer dans l’ordre moral et social, comme sur terre, détecives, numéros de ventriloque.

La mise en scène de Jean Bellorini, m’a beaucoup séduite, je l’ai trouvée inventive, vivante, drôle, sautant ou glissant du mélo dans la comédie sans quitter le drame, pleine de surprises, attentive à ses personnages et au moral des spectateurs. Bellorini, comme Molnar, nous fait passr de la terre avec sa fête foraine, du rire et de la peine, des autos tamponneuses et de la roulotte de la tante de Liliom (qui est photographe), jusqu’au bureau du commissariat du ciel, où Liliom arrive après son suicide, pour un interrogatoire. Il a droit à une condamnation au purgatoire avant un ultime et bref retour sur terre. Pour retenter une chance et où tout se rejoue.

En deux heures et sept tableaux, on suit les histoire de couples, entre Mme Muscat et Liliom, entre Liliom et Julie, entre Balthazar et Marie, entre Dandy et Liliom, entre Julie et le tourneur, entre le comptable et ses agresseurs, variations sur les formes des liens, les amours, les amitiés, les attirances, les intérêts, les rencontres, les séparations, les projets et les rêves ! Tous se prennennt le cœur, les mains et les pieds dans les jalousies, le chômage, le quotidien, l’incapacité de se parle.
Liliom est vraiment « un drame du langage » comme le précisait une récente présentation de la pièce à la Tempête, en 2009.

Dans ce texte avare de mots, tout se joue entre les corps, les silences, les yeux, les pas, les écarts, les attitudes : les acteurs, jeunes, vifs, touchants, drôles, sont toujours justes, jamais en surcharge, extraordinairement fins, dans la brièveté, la retenue. Ils sont complètement glissés dans leurs personnages, dans leurs défauts, leur charme, leurs erreurs, leurs maladresses. Parfois, de la brutalité. Julien Bouanich est Liliom, Clara Mayer, Julie. Tous se multiplient, se dédoublent, dans le rire ou l’émotion et une extraordinaire cohésion.

La musique, voix et instruments, est très présente, elle sert de cadre, de respiration, elle souligne les mots ou fait contrepoint, elle constitue une troisième voie (voix), faite en grande partie « à vue » par des artistes, dont certains jouent aussi un personnage de la pièce.

La traduction, très vivante, est complètement adaptée à notre époque.

Post-scriptum

Mise en scène de Jean Bellorini
Avec Julien Bouanich, Amandine Calsat, Julien Cigana, Delphine Cottu, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Teddy Melis, Marc Plas, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé, Damien Vigouroux.
Musique de Jean Bellorini, Liswine de Royer, Hugo Sablic et Sébastien Trouvé.
Jusqu’au 27 juin.