Macbeth, Giuseppe Verdi Théâtre des Champs-Élysées, 2015

Un sacré cocktail : Shakespeare / Verdi

Le 7 mai, je suis allée au Théâtre des Champs-Élysées, voir Macbeth, opéra de Verdi, dans sa version de 1865.
Personnellement, je suis sortie contente, mais très étonnée, car c’est la troisième fois que je vois cet opéra, chaque fois dans des mises en scène si différentes que je le reconnais à peine, malgré les motifs musicaux, et malgré Shakespeare, qui fournit, malgré tout, la base de l’histoire.
En rentrant, j’ai regardé les critiques déjà parues, dans Le Figaro et La Croix, plutôt bonnes, Le Monde était plutôt mitigé (mais c’est la tendance au Monde), une production jugée inégale et inégalement par les critique, et, le soir où j’y étais, très favorablement reçue par le public.

 1984, Macbeth, Palais Garnier : la mise en scène était d’Antoine Vitez, Georges Prêtre dirigeait l’excellent orchestre de l’Opéra et la distribution était époustouflante, Lady Macbeth interprétée par Shirley Verrett, et Macbeth, par Piero Cappuccilli. Je m’en souviens comme d’une mise en scène éblouissante, très monumentale ; « les décors étaient délirants », selon Shirley Verrett, palais à colonnes, escaliers géants, couronnes scintillantes, traînes satinées et tournoyantes, le tragique gonflait les cintres du Palais Ganier. Cela fait la part très belle à la majesté des méchants, très belle à la démesure, sur tous les plans. Une immense tragédie. Le spectateur est tout petit et ébloui. On ne sent même pas les « coupes » que le livret de Franco Maria Piave et Andrea Maffei a faites par rapport à la pièce, j’ai affaire à des monstres, monstres sacrés, bien sûr.

 20 avril 2009 Macbeth, Bastille. La mise en scène est de Dimitri Tcherniakov. Délibérément moderne, elle se fait critique sociale et institutionnelle, on est chez nous : pendant l’ouverture, Google map zoome sur une carte Michelin, sur une ville puis une belle villa (on est en banlieue), les Macbeth sont un couple de riches parvenus en politique, ils veulent « monter », comme si, de maire de la ville, Macbeth devenait d’abord préfet de région, puis, aspirera à être l’équivalent de Président de la République. La conquête du pouvoir à tout prix est bien le nœud de l’affaire mais les sorcières ont disparu au profit de la foule, elles sont meneuses du peuple tenant lieu de destin. Lady Macheth (Violetta Urmana) était une imposante maîtresse de maison, faisait du spiritisme, donnait un grand apéro chic (la scène du banquet) réunion mondaine gâchée par les délires de Macbeth, qui m’a laissé d’excellents souvenirs de direction des foules, on inclinait un peu le regard vers certaines banlieues parisiennes. Le peuple des administrés se rebiffait toutefois. Et les méchants meurent. C’était pas mal. Mais Shakespeare, et Verdi étaient quelque peu passés à la trappe. Il restait des querelles de pouvoir, banalisées. C’est parfois le danger avec Tcherniakov : moderniser et attirer une œuvre dans notre siècle n’est pas forcément la bonne méthode pour actualiser des problèmes de pouvoir.

Italie, Italie

Je reviens au Macbeth, du Théâtre des Champs-Élysées, 7 mai 2015. On ne pouvait pas faire plus italien, entre la musique de Giuseppe Verdi, le mise en scène de Mario Martone (cinéaste, auteur du récent et estimable Leopardi), et la direction italienne de l’Orchestre national de France, Daniele Gatti.
Je dirai tout de suite que je n’ai pas aimé la direction de Daniele Gatti, qui faisait jouer l’orchestre plutôt genre flonflon et sans ossature, sans réel parti, un peu brouillon et facile, alors que la partition révèle des tentatives nouvelles chez Verdi dans le traitement du bel canto, et l’obligation, en 1865 (c’est la version choisie) d’insérer un ballet (pas facile à mettre en scène de nos jours).

J’ai trouvé Susanna Branchini en Lady Macbeth touchante et intéressante, petite femme mince et non virago, capable cependant de tout oser, et de se mettre en danger, dans l’histoire, comme vocalement. Elle offrait la part d’incertitude nécessaire, à la fois victorieuse et dangereuse pour elle et pour les autres, qui est le ressort même du rôle. Avec Roberto Frontali, ils faisaient un couple vocal intéressant et crédible, manipulés par le Destin plutôt que le conduisant et le forçant, loin des monstres sacrés qu’avaient été Cappuccilli et Verrett.

Ce n’est pas un hasard si le triomphe vocal de la soirée a été offert à un personnage apparemment secondaire (sauf qu’il représente Verdi) ; Macduff, alias Jean-François Borras, dirige la résistance au couple Macbeth devenu tyrannique et percé à jour comme assassins. Malgré ses malheurs personnels, sa femme et ses enfants ont été massacrés par Macbeth, Macduff jure de se venger (O figli, o figli miei !… Ah, la paterna mano) et surtout de venger La Patrie. À ce personnage secondaire, Verdi confie la part magnifique de ses propres obsessions, forcément absentes de la pièce de Shakespeare, obsessions qui sont sa signature personnelle, dans la célébration envoûtante et enthousiasmante de la Résistance et son amour de la Patrie (Patria oppressa  !). Macduff chante le cœur du noyau italien du XIXe siècle et de la construction de l’Unité italienne, dans cette forêt écossaise de l’Acte IV, où elle surprend et galvanise. Beaux sentiments, hommage à l’intérêt commun (forcément inexistant dans la pièce), présents dans la musique, ayant échappé à Vitez comme à Tcherniakov, qui ont zappé l’idéologie personnelle de Verdi exprimée par la musique, soit au profit du grandiose (Vitez), soit au profit du souci politique didactique (Tcherniakov).

Martone a servi le musicien et le dramaturge, fidèle à Verdi et Shakespeare, et aux deux librettistes poètes amis de Verdi.
Fidèle à Shakespeare, il a mis en scène le fonctionnement de la croyance - ici criminelle et naïve - dans les prédictions à répétition que des sorcières adressent à Macbeth, dans leur premier degré accablant, dont la force réside dans la profération et les rites (comme tous les oracles). Ce premier degré reçu et transmis par Macbeth est repris et battu en neige noire par l’ambition de Lady Macbeth, qui transforme la profération en réalité.
Il a suivi le texte et les désirs de Verdi, en magnifiant la Résistance, en faisant de la première scène de l’acte IV, une réussite visuelle très XIXe, en y mettant le paquet, avec les chevaux sur scène, un noir, un blanc, leur romantisme, leur allure de tableaux vivants.

Ce que je retiens enfin, outre d’avoir servi Verdi sans trahir Shakespeare, c’est la beauté visuelle de cette mise en scène, le sens du plateau, le sens des foules, la capacité à rendre l’évolution et la fragilité des personnages.
Le talent et le goût de Martone viennent de son expérience de metteur en scène de cinéma, amoureux des lumières, des nuages, des noirs utilisés comme mystère pesant et fermé, des rouges de sang. On fait le lien avec son Leopardi, son talent pour sensible l’Italie du XIXe, qui met en valeur Verdi. On peut peut-être reprocher à Martone d’avoir cédé à la tentation de « montrer » le spectre de Banquo, avec une projection, le vide est sans doute, dans ce cas, préférable à l’image et la pauvreté des fantasmes. Mais ce serait cracher dans le minetrone.

J’ai admiré le jeu de contrastes en forme de contrepoint, plusieurs fois maniés par Martone entre le visuel et la musique : ainsi la saisissante opposition entre les airs piqués et sautillants du ballet que Verdi a été obligé d’insérer à l’Acte III, avec les sorcières et les figurants couchés et dormant sur la lande pendant le « songe » de Macbeth. Admirable aussi le couronnement final du jeune Malcolm, roi blondinet et effacé, (qui manque de voix d’ailleurs, mais c’est très bien ainsi), mannequin léger du pouvoir à la merci de ses partisans dont on soupçonne que, dès le rideau tombé, ils vont recommencer à s’entretuer pour prendre sa place : là on a du vrai Shakespeare.

Post-scriptum

Macbeth, Théâtre des Champs-Élysées, Daniele Gatti direction, Mario Martone mise en scène, scénographie, Ursula Patzak costumes, Raffaella Giordano chorégraphie, Pasquale Mari lumières, Roberto Frontali Macbeth , Susanna Branchini Lady Macbeth, Andrea Mastroni Banquo, Jean-François Borras Macduff, Sophie Pondjiclis La dame d’honneur de Lady Macbeth, Jérémy Duffau Malcolm, Orchestre National de France, Chœur de Radio France direction Stéphane Petitjean