Les actualités cinématographiques allemande (1918-1933). Inventaire et analyse Histoire d’un travail de recherche

Je me suis lancée tard dans la recherche. Il en est résulté une sorte de gros monstre difficile à éditer, partie fichier, partie analyse, elle est restée dactylographiée : je présente trois éléments dans cette bibliographie : ci-dessous les circonstances du travail ; on trouve aussi dans l’année 1978 les « Positions de thèse » cette forme convenue et brève que l’on remet au fichier national des thèses ; et enfin, toujours en 1978, le texte qui sous-tendait la présentation orale que j’en ai faite lors de la soutenance, devant le jury et le public genre un peu plus développé mais non moins académique.

Un inventaire, comment et pourquoi ?

Il s’agit de ma thèse de 3e cycle ancien régime, préparée sous la direction de Marc Ferro, déposée à la Bibliothèque Universitaire de l’Université de Paris X-Nanterre et à la bibliothèque de la BundesArchiv, Koblenz. 1234 pages, dont certaines sont de grands dépliants, notamment celles qui concernent les actualités parlantes (à partir de 1932). Non publiée.

Dans le courant du mois de Mai 1968, nous avions fait connaissance, Marc Ferro et moi, au beau milieu des réunions nombreuses et animées où, du plus petit grade de chercheur au plus haut, nous faisions des projets utopiques sur l’Ecole idéale de recherche que devait être, selon nos plans, l’Ecole pratique des Hautes Etude à laquelle nous appartenions tous les deux, lui directeur d’études en Sciences sociales, moi chef de travaux en Sciences religieuses où je travaillais dans l’administration en commençant un sujet de thèse : j’avais démarré avec Robert Mandrou une recherche sur les Monuments aux morts de la Guerre de 1914-1918.

Dans les années Soixante, le travail sur l’image filmique est encore très nouveau et très artisanal : Marc Ferro est en train de lui donner ses lettres de noblesses, en montrant qu’elle est objet d’histoire aussi bien que les images fixes et les textes. Pour étudier les rapports du cinéma et de l’histoire il ouvre un séminaire à la VIe section de l’Ėcole pratique de Hautes Ėtudes, d’abord rue de Varenne, puis rue de Tournon, que je suis à partir de 1968.
Il étudiait alors de la manière la plus captivante les actualités russes de l’époque de la Révolution d’Octobre. Tout était si vivant !
C’est lui qui m’a orientée vers le film et l’image. En 1970, j’ai laissé tomber mes Monuments aux morts qui piétinaient dans la préparation du questionnaire qu’il fallait envoyer aux 36.000 communes, c’était déjà un inventaire…je crois que j’aime les inventaires.

Étudier les images cinématographiques, c’était encore pionnier, passionnant comme toute nouveauté, mais c’était aussi le parcours du combattant bien plus que pour les textes. Pas de banques de données naturellement. On faisait des plongées et des courses hasardeuses dans les archives : l’accès aux fonds était payant quand il s’agissait d’archives privées des maisons de production et terriblement contingenté pour les archives d’Ėtat. On croisait l’industrie, les intérêts politiques, la difficulté propre et séduisante de l’image « mouvante ». 

Marc Ferro a réussi à obtenir des crédits du CNRS pour que ses étudiants puissent aller inventorier les actualités au moins en Europe. Plusieurs d’entre nous ont travaillé à ce projet d’ensemble, chacun dans un pays : j’avais choisi l’Allemagne, et dans ce pays si riche sur le plan du cinéma, la tranche des Actualités hebdomadaires au temps de la République de Weimar. Un monde d’avant ma naissance, un monde dangereux, agité, très chaotique, lissé par les actualités. L’existence de ce genre filmique devenait elle-même un objet historique : les actualités ont été supprimées des programme des salles d’exploitation dans le début des années Soixante - en France en 1964-. II fallait donc aller les recueillir, les étudier, les analyser.

Les fonds étaient peu accessibles, parfois à peine inventoriés, voire carrément fermés dans certains pays : on était en pleine guerre froide. Si ma demande a été agréée facilement par la République fédérale allemande (RFA) à la BundesArchiv de Coblence et une petite partie conservée à Berlin-Ouest, où j’ai été très bien reçue et aidée, en revanche la République démocratique allemande (RDA) m’a refusé l’accès à ses documents de Berlin-Est, qui sont nombreux. L’inventaire est donc incomplet.

Mais il était déjà suffisamment riche (plus de 16 kilomètres de documents, produits par une petite dizaine de firmes allemandes réparties sur l’éventail des nuances politiques), pour qu’on puisse raisonner à partir du visionnement. L’analyse est donc, je pense, encore intéressante et utilisable. Lors de mes séjours à Coblence, dans le fort magnifique qui domine le Rhin, où ces documents étaient conservés et très bien entretenus, je visionnais d’arrache-pied, en prenant des notes, sur le contenu, la forme, le minutage etc. avec toutes sortes d’index à faire, un assez gros travail de traduction, un travail un peu obsessionnel qui ne me déplaisait pas.

Toujours dans la préhistoire d’avant internet et des traitements de texte, la forme de la thèse dactylo avec 6 doubles, relevait aussi du sport.

Une fois la thèse soutenue, encouragée par le jury, j’ai fait quelques démarches pour une publication, et constitué quelques dossiers déposés auprès d’éditeurs de travaux d’histoire ou de cinéma. Ce travail était difficile voire impossible à prendre en charge : est-ce vendable, un gros machin comme ça, qui parle d’image et sans image ? Sans doute non, car les éditeurs paraissaient intéressés par la nouveauté de l’objet de recherche, l’intérêt politique du sujet, mais ils n’allaient pas plus loin : j’ai manqué de persévérance pour la publication, cela aurait demandé un énorme travail de refonte dans un style plus « public éclairé » et elle est restée à dormir paisiblement à la bibliothèque des thèses à l’Université de Nanterre et à celle de Coblence qui m’avait demandé un exemplaire du travail.

Faute de fichiers numérisés, je ne peux donc pas, bien sûr, mettre facilement ces éléments en ligne, j’en aurais pour des années. Elles ont pourtant un intérêt « historique ». Elles constituent un type de travail de recherche d’avant le numérique, et elles portent la marque intellectuelle du contexte des années Soixante-Dix où elles ont été écrites. D’une certaine façon, ce travail, qui était à la pointe de la recherche, la première thèse portant sur des arcchivers filmiques comme l’avait souligné Marc Ferro, offre un caractère à présent terriblement daté, il rappelle le monde de’avant internet, le monde du temps de la RDA, le mutisme de ses institutions. Un autre Monde. Le contenu de l’analyse en reste valable.

Je mets en ligne au moins les pages de la présentation de soutenance, et mes « positions de thèse » résumées pour le fichier national des thèses, pour avoir une idée et une petite trace de ce travail finalement fondateur dans ma vie professionnelle et intellectuelle. On peut se reporter à des articles qui en ont réutilisé des morceaux, Problème d’analyse cinématographique : la perspective mythologique, Naissance des actualités parlantes, Contrat et convention : à partir d’un genre disparu, les actualités, et Du rite au mythe : les actualités.

H.P. Juillet 2014