Le bois dont les rêves sont faits Un film documentaire de Claire Simon

Quatre saisons au bois de Vincennes. Si près et si loin. Entretenu mais si sauvage, si humain et si animal, un monde où on drague, où on vit, les oiseaux y volent, on y court, on y nage, on prend le soleil et la pluie, on fait les foins, on mesure la santé des arbres, on balaye, on dort, on danse et on mange.

Les fils rouges du film

La vie du bois, la vie dans le bois, la vie à cause du bois : tout est filmé et approché par Claire Simon avec une sensibilité totalement ouverte, un intérêt respectueux, presque extraordinaire, pour ses habitants humains, leurs paroles et leurs silences, pour ses animaux parfois si proches des humains dans leurs comportements, pour ses plantes simples, pour ses habitués, ses amoureux et ses voyeurs, ses sportifs, les vieux, les jeunes, les ballons et les bâtons d’encens, les poissons grillés, les poissons pêchés, photographiés et remis à l’eau ; les fantômes des étudiants post-soixante-huitards, qui écoutent les cours en forme de conversations de Deleuze se surimpriment fugitivement à ce qui est redevenu un bois et qui fut une salle de cours il y a cinquante ans. Du plus grand au plus petit, on passe sans peine d’un crapaud ou d’une salamandre à Deleuze et même Bouddha.

Par une suite de rencontres impressionnistes, Claire Simon présente la solitude de chaque être - l’un des trames du film -, et les réactions qui l’accompagnent : acceptation, recherche, crainte de la réalité ou refus. Ainsi que son puissant mais fugitif ou provisoire antidote, la sexualité. Sans doute grâce à l’attitude de Claire Simon, ses interventions rares et attentives, j’ai trouvé toutes les personnes qu’elle a croisées et choisies de filmer très proches, touchantes ou drôles, avec des histoires de vie qui parvenaient toujours à résonner avec la spectatrice que j’étais. Avec tous, Claire Simon m’a donné l’impression que je partageais quelque chose de diffus, une tendresse, une inquiétude, un sens de la fatalité à accepter le simple fait d’être et de devoir vivre, d’aimer les gens, leurs regards, les papillons, les feuilles, les ombelles de carottes sauvages.

La Pagode au Bois de Vincennes
©P. Charpiat

Autre fil enchevêtré ou superposé à la trame de la solitude, l’exil : on trouve, dans ce bois, le dépaysement, l’arrachement à un autre monde. Cambodgiens, Guinéens, Bretons, parents sans enfants, enfants sans parents, militaire sans armée et sans guerre, chacun est la résultante d’une histoire avec ou sans H majuscule. On voit alors, dans le film - dans le bois -, combien il suffit de peu de mots pour évoquer et faire surgir la pensée d’un autre lieu, d’un autre temps, d’une autre personne, d’un autre animal, d’un amour perdu. Là aussi, Claire Simon, avec son attention discrète, laisse chacun s’exprimer à sa guise, même si ce sont par des silences, quelques mots, ou plus rarement trop de mots, un regard, une attitude : ainsi Philippe, le plus solitaire des habitants du bois, est-il pour moi plus convaincant que Gilles Deleuze autrefois à Paris VIII, pour parler des choix, de la vie, des voyages qu’il fait en lui-même, dans les longs sommeils avec lequel il peuple son temps. Quelque chose en relation directe, quoiqu’inversée, avec le monologue d’Hamlet, « Mourir, dormir, dormir ! peut-être rêver ! »

Le bois thaumaturge ?

Le film dure 2 h. 24. J’’y serais restée bien davantage, mais Claire Simon a fait le choix d’un cycle annuel de la nature, depuis les ramassages des feuilles de l’automne 2014 à l’air fatigué des feuilles de la fin d été 2015. J’ai bien aimé les images : chaque plan fait surgir la simplicité des plantes, des animaux, des êtres humains, de leurs occupations, de leurs corps, de leur manière d’être. Elles font sentir à travers l’écran le goût du vent, la couleur des sous-boiss, l’eau, les feuilles, les herbes, le mouillé, les troncs, la vie des poissons, et l’incorporation, ici souvent discrète, parfois tapageuse, des humains un peu incongrus dans la nature elle-même un peu apprivoisée. Habitants et habitués, promeneurs du dimanche, jardiniers, co-existent, chacun avec leurs occupations et leurs trajectoires.

Parfois un plan laisse voir la Ville comme une sorte de mur lointain d’un monde étranger. Je connais un peu le bois de Vincennes, mais je ne l’avais jamais vu comme ça, c’est-à-dire avec les yeux de Claire Simon. Elle m’a montré le bois comme une sorte de lieu de conciliation, une mosaïque d’espaces à moitié secrets ou trop ouverts, sa diversité physique est grande, mais, globalement il paraît être un sas entre la Ville et l’Ailleurs, on y est attiré, on s’y adapte, on s’y cadre et recadre. Parfois drôle, parfois triste, chaque séquence à la fois différente et liée par le fait d’appartenir au bois, est effleurée avec la retenue et l’attention qui sont la marque de fabrique de Claire Simon.

Je suis sortie du film et du bois, momentanément réconciliée avec l’humanité, avec la vie sur la Terre : ce n’est pas si fréquent par les temps qui courent.