L’Embarquement pour Cythère 57

  • Par Hélène Puiseux

57. Forêts pour Me Plock

Un arbre, a dit Me Plock. Généalogique. Arbre, arbre. Quel mot dur et fatiguant, on dirait qu’on broute, qu’on est à Villeneuve, sous le hangar, en train de broyer des betteraves dans le vieux moulin à bras que Ludovine appelait « le coupe-racines ». Intéressant mot pour une généalogie. Plaisanterie nulle.

Un arbre allemand, mal venu, rabougri.

Un arbre cubain, des arbres cubains, forêt de carton dressée sur les planches d’un théâtre exotique qui résonne quand on y fait tomber les prénoms, Alexandre, plof, Céphise, plof, qui s’écrasent avec un bruit juteux. La petite Marie, l’une des filles d’Hector, il paraît qu’elle a épousé un Américain, une sorte de Rhett Butler, un traficant d’armes qui a fait fortune pendant la Guerre de Sécession, je me demande si ce ne serait pas cette même Marie, pourquoi pas, elle devait avoir dans les soixante-cinq ans pendant la guerre hispano-cubaine, si ce ne serait pas elle, donc, qui aurait fait débarquer les armes qu’Octavio Portier allait chercher dans les baies abritées de la côte Ouest de l’Ile de Cuba, pour les offrir à la fille Agramonte, elle aurait ainsi refilé les vieilles Winchester à son neveu et à la Cause de l’Indépendance.

Pour cet arbre, je vous numéroterai aussi les Céphise, il y en a tant dans la famille, à toutes les générations, songe, songe, Céphise, certaines tout aussi raides que la première, la mère d’Hector, d’autres plus douces, comme celle de la deuxième génération de Cuba, qui avait épousé un Espagnol de Manille et qui, dans sa maison immense aux multiples patios en céramique bleue, de ce bleu noircissant sous l’ombre des figuiers et des bananiers, se bourrait de glaces à la vanille.
Et l’autre petit Hector, le jeune frère d’Octavio, celui qui a dû reprendre la plantation, il est mort, maintenant, certainement, qui sait ? Qui saura ? Il faudrait écrire à l’ambassade de France à Cuba.

— N’importe quoi, dirait Lili si elle lisait ce brouillon, ce n’est pas ça que voulait Grand-père, ni ce que veut Me Plock, il veut du solide, des dates ! Je te l’ai dit cent fois ! La vanille philippine et les fusils ringards, qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse.

Elle est en bas, elle crie :
— Yves, je vais à Paris, ce n’est pas sûr que je rentre, mais ne ferme pas la porte verte. Regarde dans le frigo, il y a plein de restes.

Arbres. Arbres du jardin d’hiver. Arbres des films d’épouvante, avec leurs racines et leurs branches prégnantes, qui s’entortillent autour des chevilles minces des jeunes filles, ouvertes à tous les démons.

Post-scriptum

(À suivre)