L’Embarquement pour Cythère 54

  • Par Hélène Puiseux

54. Fort Sainte-Inès III

Et celui que tu aimes, oui, Octavio, Octavio condamné à mourir ou à vivre au Fort Sainte-Inès, ce corps qui sue et se liquéfie, se fond dans les draps blancs, disparaît en laissant de la souillure enfantine, incapable de retenir ses intestins, sa vessie, baignant dans ce qu’il ne veut pas savoir de son corps, évasion, évacuation, de ce qu’il a toujours entendu désigner comme sale, on lui a toujours dit retiens-toi, eh bien non, il ne se retient plus et c’est pourquoi on ne peut pas savoir si, au Fort Sainte-Inès, il se décide enfin à vivre ou à mourir, il laisse sortir toutes ces masses de débris de nourriture mal digérée, où on lit encore les filaments des oranges et des ananas mangés sous les remparts, la glace au café, les grains de maïs, charriés par une eau brune qui n’a plus en elle les ingrédients pour lier tout ça, pour en faire de convenables excréments, mon pauvre Octavio, sans avenir, sans passé, dans ce présent souffrant où je me complais, avec toi, dans ces draps que l’on doit penser sales, mais que je trouve finalement paisibles, liquides, rendus à la fluidité après tant de contraintes serrées et dures, après cette constipation mentale et sentimentale, maintenant, enfin, cette Reddition de Breda qui se fait par tous les pores, par toutes les zones de ta peau, par les mains douces dans les draps humides, qui t’aident à sortir de toi, inconscient, un liquide encore, doux, orgeat chaud et savoureux.

Post-scriptum

(À suivre)