L’Embarquement pour Cythère 23

  • Par Hélène Puiseux

23. Noir

Le cinéma. Hier, j’étais assis, à demi glissé, la tête calée sur le siège de velours, là où tant de têtes se calent, roulent à tour de rôle, dans le noir, pour regarder des corps qui divisent l’écran, qui suent sur l’écran, couchés dans les lits-bateaux de la Nouvelle-Orléans.

Quel divertissement pour un roi. On ne joue qu’à trois et tout seul, depuis toujours, tu crois qu’avec les ours en peluche, j’avais autre chose que cet érotisme affaibli et détourné, comme tu sais si bien faire, toi, juste occupé de la reine dans ces images où tout est si mal classé, ou trop bien bouclé, que l’on ne regarde que du dehors, voyeurisme forcé et détesté, sans pénétrer jamais, parce que ce n’est pas là qu’elle est, la réponse, ce n’est pas à Cuba non plus, ni en Aulide, ni à la gare.

L’exotisme de l’écran, les vents alisés, les palmiers, jouent en contrepoint avec l’hôpital militaire du Fort Sainte-Inès où gît Octavio Portier, les murs blancs, les murs jaunes, les flèches de bois peint en blanc dans les allées, Salle Sainte-Elisabeth, Salle Sainte-Thérèse, Salle Sainte-Lucie, toutes ces saintes au chevet des lits alignés, dans des cadres de bois doré, j’aimerais y tomber, j’y tombe, j’y suis tombé, peut-être, je ne veux plus ni chercher, ni rester, ni partir, fatigué de moi, incapable de penser à autre chose qu’à des histoires de purée mal mangée et de canards sans tête dans le hangar de Villeneuve, que je vois de plus en plus souvent apparaître, affalé devant l’écran opiacé, aveuglé, peut-être par personne.

Post-scriptum

(À suivre)