Colloques et Cie

Colloques et Cie

Dommage qu’on ne puisse pas rendre l’atmosphère des colloques. Ils forment un espace particulier, un observatoire des diverses névroses des chercheurs ( de la mienne propre aussi) narcissisme, timidité, certains règlent de vieux comptes personnels tout à fait extérieurs ; on s’y fait des amis temporaires ou solides, parfois des ennemis, éventuellement on y drague. Aucun colloque ne ressemble tout à fait à l’autre. Le climat, la ville, la saison, les repas, l’heure à laquelle on parle, tout influe sur ces échanges scientifiques. Espace d’entre-deux : ce sont des sortes de vacances, mais on vient y montrer et échanger des méthodes et des résultats de travail.

J’y arrivais avec une certaine anxiété et l’impression d’être un personnage de dessin animé, un souriceau dans une coque de noix qui voit le courant s’accélérer et sait devoir passer un rapide. Il y a un côté compétitif que je n’aime pas trop. Mais il faut bien de temps en temps montrer sa salade hors du public captif du séminaire, dans les cercles de l’image ou de l’histoire et, parfois, carrément hors de l’université : ainsi mes recherches sur le malade, la maladie et le médecin m’ont fait inviter par le milieu hospitalier, ou celles sur le nucléaire m’ont mise en présence de physiciens à Genève.

Certains ont été particulièrement agréables : ainsi le colloque de Clermont-Ferrand, sur La Bataille, l’armée, la gloire, où Jean Evrard et Paul Viallaneix, les organisateurs, avaient eu soin de meubler nos soirées en rapport avec le thème : s’ils avaient sacrifié au cocktail rituel du premier soir, le lendemain soir, ils avaient fait venir au Grand Théâtre de la ville la compagnie du Théâtre des Chiens Jaunes pour jouer une pièce de Collot d’Herbois, Les Français à la Grenade, une vraie rareté. Le troisième soir, on avait eu la projection entière de La Bataille de Culloden, le film de Peter Watkins, fait comme un reportage de télévision, que j’analysais. Quelles conditions idéales pour en parler, au lieu de faire appel comme la plupart du temps à des souvenirs d’images que pouvaient avoir - ou pas - les participants. La richesse de l’image avait parlé d’elle-même, avant que je n’en montre la structure et le dynamisme propre.

Car le cinéma n’était pas toujours aussi bien traité dans les colloques, on le plaçait à la fin du dernier jour, ou très tôt le matin, certains universitaires le regardaient avec une gentille condescendance que Marc Ferro, d’autres et moi à sa suite, avions souvent sentie et combattue. Dans les années Quatre-Vingt, une certaine Terreur existait vis-à-vis des analyses qui s’échappaient de la dictature étincelante du structuralisme et de son carré sémiotique : or, cette école se casse les dents sur les images filmiques qui relèvent de trop nombreux registres, ou alors elle les réduit à une évidence abstraite et sèche. Il fallait tenir bon pour développer les approches sensibles et plurielles de l’analyse.

Il fallait faire admettre la spécificité du récit filmique, pré-organisé, qui se déroule dans un temps fixé, faisant interagir à l’intérieur du film les éléments visibles ou passés en ellipse, sur le plan temporel ou spatial, tout en tenant compte des interactions des récits entre eux. J’ai tenté d’exposer ces particularités au colloque de Bourges en 1986, Le visible et l’invisible : figures du film . L’atmosphère était parfois curieuse, lorsque les rencontres réunissaient les praticiens (cinéastes), les gens des médias et les universitaires, chacun dans son petit château fort, prêt à décocher des flèches sur le plus proche voisin.

Peu à peu, avec bien d’autres chercheurs, dont certains très prestigieux, nous sommes parvenus à faire mieux prendre le film en considération. et contribuer à balayer l’ancienne méfiance que nous combattions dans ces rencontres. L’inflations de l’image, l’invasion ultra-rapide d’internet dans les manières de faire et de voir, ont fait le reste : l’image en impose. C’est autour d’elle qu’on organise maintenant beaucoup de ces exercices sportifs obligés que restent les colloques.