L’Embarquement pour Cythère 43

  • Par Hélène Puiseux

43. La Cène II

Combien de temps les canards courent-ils sans tête ? Si. Si. J’insiste, c’est une question capitale, il ne s’agit pas de manger, il s’agit au contraire de NE PAS MANGER, et arrête de dire qu’on est à table, on est toujours à table, il faut bien parler de quelque chose, Maman savait bien que ce n’était pas la purée qui pleurait dans l’assiette, mais ce canard que les bouches sans yeux, autrefois, mangeaient, et que les yeux sans voix guettent autour de la villa, ou dans l’entrée, ou dans le jardin d’hiver, ou dans l’escalier, ou dans la chambre.

Lili. Ah non, ce n’est pas Lili qu’il faudrait appeler, Lili, qui traîne avec elle les pelages des temps passés, ces ours endormis et rusés, ces déguisements de marins ou de militaires, ou les sirops d’orgeat jetés sous les seringas.

À table, Lili, causons, veux-tu, mangeons, veux-tu, ne lève pas tes mains vers tes oreilles, je découpe des assiettes, jaune, bleu, rouge, vert, abricot, y en a une de trop, il met le couvert dans le jardin d’hiver.

Post-scriptum

(À suivre)