L’Embarquement pour Cythère 19

  • Par Hélène Puiseux

19. Soirée dansante.

Chaleur de la salle polyvalente, comme ils l’appellent dans leur jargon administratif, horriblement décorée. Les décos de Noël resservent pour le Nouvel An, agrémentées de quelques branches de gui.

De l’autre côté de la cloison accordéon en plastique gris, elles parlent d’un guerrier désarmé. Tu as tort, Camille, de le choisir, EN CE MOMENT, pour interpréter Achille, il est trop, comment dire, pas très net, tu vois, un peu largué, un peu mou, et Julia se met à chanter une vieille pub Vittel, MOU, MOU, en fait, non, pas mou, plutôt un peu déprimé, un peu jeté.
Jeté aux ordures. Soirée dansante pour bennes municipales.
— Tu n’avais pas l’air de le trouver mou en octobre, tu étais là à nous faire des sérénades, Yves ceci, Yves cela, il était tellement fin, tellement romantique - et d’ailleurs, oui, il l’est - et maintenant, il serait MOU ?
— Non, j’ai retiré MOU, j’ai dit JETE.

Entrée du guerrier mou et désarmé. Mon trésor. Les femmes lui saisissent le corps avec leurs bras nombreux, leurs caresses ressemblantes les rendent terriblement présentes, voire excitantes, on a tort de dire que les distractions, ces distractions-là, ne sont RIEN, car elles rendent la reine plus absente, plus inaccessible encore. Puisque ces caresses-là sont interdites.
Silhouettes déguisées, fardées, colorées, sous les guirlandes municipales.
— On reste une demi-heure, après on va travailler, OK, dit Camille.

On danse. Parfums. Champagne.

Puis je les entends crier, sur la plage d’Aulis, qu’elles m’aiment à en mourir, crier d’envie de se trouver sous le couteau de Calchas, pour que je parte enfin, crier leur parenté avec Hélène qui nous attend à Troie, reine infidèle autour de laquelle tout est pris en glace, figeant la météo, les oracles, les familles, les navires, les soldats, les forteresses.

Masques brillants et noirs, faut-il être malade, bouclier de toutes les couleurs ?

Post-scriptum

(À suivre)