Minsk 2 ou Le Loup et l’Agneau, version 2015

Le Loup et l’Agneau
(Jean de La Fontaine, Fables, 1668)

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
— Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point. - C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

Pas besoin de commentaire, juste trois lignes de rappels

 L’appétit
« Et que la faim dans ces lieux attirait »
En 1937, 1938, pour avaler l’Autriche, puis la Tchécoslovaquie, puis les pays baltes, etc., Hitler, disait protéger les germanophones qui habitaient chez ses voisins et y auraient été mal traités. Il faisait sa Grande Allemagne, son Reich de mille ans.
Poutine et son visage en caoutchouc botoxé, a faim, lui aussi, il cherche à reconstituer la grande carcasse de l’URSS (ou l’empire russe). Poutine prétend répondre aux appels au secours ou aux désirs des russophones mal traités en Géorgie et Abkhazie, Crimée, Donbass etc. Il les conseillerait, si, si, pas plus, les armes et les troupes, il n’en fournit pas. Puisqu’on vous le dit.
Grands rêves mégalos et meurtriers.

  La mauvaise foi
« Car vous ne m’épargnez guère, vous vos bergers et vos chiens ».
« On me l’a dit, il faut que je me venge »
Les tenants 2015 du Loup répètent en levant les yeux au ciel que, à la base, c’est la faute de l’Ukraine qui aurait eu le tort de vouloir se rapprocher de l’UE, qui de son côté, aurait poussé au rapprochement. Et poussés par les États-Unis, les Européens et « le régime de Kiev » auraient « humilié » Poutine.

 Une fable sans morale
« Ah les cons », disait Daladier en septembre 1938, en voyant qu’on l’applaudissait d’avoir laissé tomber la Tchécoslovaquie en co-signant les accords de Munich. À Minsk, Poutine a roulé tout le monde dans la farine et tout le monde le savait, les titres des journaux, les tribunes d’experts, les débats, depuis deux jours, sont éloquents. Personne n’est dupe.

Aussi Minsk 2 a-t-il quelque chose de triste et d’obscène. Un Munich façon XXIe siècle. Les situations sont, mutatis mutandis, les mêmes à près de 77 ans d’intervalle. La réaction des « marchés » est aussi carrément écœurante, ils montent, ils anticipent qu’on va laisser faire, ils espérent que bientôt, l’Ukraine, sera avalée, (la Crimée lui a bien été piquée sans mot dire) ou bien, à genoux, sera obligée d’aller se rendre à Poutine une fois que l’UE l’aura bien lâchée, alors le conte de fées reprendra, les sanctions économiques seront levées et dans les salles des Bourses mondiales, on fera la fête. Jusqu’à la prochaine...

Post-scriptum

Je conseille de lire l’intéressant article du Monde du 13/2 (Benoît Vitkine et Isabelle Mandraud), intitulé Les zones d’ombre de l’accord de Minsk. Au moment où j’ajoute cette note, l’accord est « globalement respecté » selon la terminologie des medias.